Dans la continuité de nos entretiens politiques et à quelques semaines du premier tour des élections législatives, nous nous intéressons à la relation qu’entretiennent les professionnels des Affaires publiques avec cette échéance électorale. Il convient, en ce sens, d’interroger la future (re)composition des forces à l’Assemblée nationale et des conséquences d’un renouvellement de législature sur la conduite des Affaires publiques pour une organisation.

Comment anticiper l’arrivée de nouveaux élus ? Quelle approche privilégier pour construire des relations de long terme ?

Nicolas Bouvier, Partner chez Brunswick et Président de l’Association Française des Conseils en Lobbying (AFCL), a accepté de répondre à nos questions. Il évoque ainsi le regard que portent les professionnels des Affaires publiques sur ce prochain scrutin.

 

Comment se prépare la transition entre deux législatures – période qui n’est pas sans créer des incertitudes quant à la reconduction de la majorité et des réseaux existants ?

Je pense que l’erreur consisterait à considérer que la réélection du président ne changera rien. Or, tout a changé et tout va changer quand bien même un certain nombre de personnalités viendraient à être renouvelées dans leurs fonctions. Le contexte géopolitique extrêmement instable, l’environnement national qui s’est polarisé à l’extrême… ce sont des données de fonds dont les décideurs doivent tenir compte et qui nous obligent à adapter nos relations avec les décideurs.

Ma recommandation principale serait de ne pas négliger les différentes appartenances politiques, même face à une majorité forte comme on l’a connu pendant 5 ans. Un bon lobbyiste devra toujours travailler sans a priori, avec les différents groupes parlementaires. Il est nécessaire d’apprendre à équilibrer les points de contact et de savoir travailler tant avec la majorité qu’avec l’opposition. Tel est le sens du jeu démocratique dans lequel on s’insère en tant que professionnels des Affaires publiques.

Très concrètement, cela signifie qu’en période d’incertitude et d’alternance possible, il faut continuer, et peut être renforcer ce lien avec l’ensemble des partis. Cela facilitera par ailleurs la relation développée avec les futurs élus d’une circonscription.

Après, à l’impossible, nul n’est tenu. Il serait difficile de travailler avec tous les candidats dans toutes les circonscriptions. Notre métier c’est aussi l’art du ciblage. Il faut opérer des choix afin de travailler avec les candidats les plus pertinents – tout en sachant que les critères de pertinence peuvent varier d’une situation à une autre.

 

Et justement vous l’évoquiez, comment s’organise cette identification des nouveaux députés dans l’objectif, par la suite, de les interpeler et de les rencontrer ?

Il est sain, sans doute nécessaire et utile d’opérer selon trois axes. D’abord prendre un pas de recul. Quand on est habitué à échanger avec les mêmes interlocuteurs, le changement de majorité ou la recomposition de l’Assemblée a un impact sur la continuité de nos dossiers. Face à un cadre évolutif, il est pertinent de commencer par interroger les dossiers sur lesquels on travaille, la manière dont on aborde telle ou telle problématique vis-à-vis des décideurs publics : est-ce qu’il ne serait pas nécessaire de réévaluer notre approche ? Je pense qu’en effet il faut rechallenger la manière dont on présente les problématiques de nos clients et l’aube d’un nouveau mandat est idéale pour ce faire.

Ensuite, il y a effectivement le ciblage. Cela implique un travail d’identification d’un nouvel environnement politique. Il faut chercher à comprendre les profils et les centres d’intérêt des nouveaux élus, des nouveaux décideurs, identifier les structures et logiques mises en place par les groupes parlementaires. Il faut faire l’effort de comprendre comment elles vont pouvoir fonctionner ; questionner la redistribution des cartes entre groupes politiques – anciens et nouveaux ; faire attention aux prises de position passées ou récentes de ces différents intervenants. Le flot d’informations de début de mandat est tel qu’il est parfois difficile de faire le tri. Il est pourtant indispensable pour engager une collaboration durable avec ces décideurs.

J’ajouterai que le flot d’informations que j’évoque ici – et parce que ça va mieux en le disant – ce sont des informations publiques et ouvertes. Parfois, lorsque le sujet du lobbying est évoqué, on bascule vite dans la caricature et le fantasme. En tant que professionnels des Affaires publiques, nous sommes éduqués sur le sujet. Mais néanmoins, c’est bien de se le dire entre nous : 99,99% des données que l’on traite sont des données open source. Notre valeur ajoutée, cette valeur de travail, elle réside dans la hiérarchisation de ces informations, dans la manière dont on va les prioriser et les agencer.

En troisième axe, il est important de ne pas se précipiter de résister à la tentation d’écrire tout de suite à l’ensemble des parlementaires, de vouloir contacter immédiatement les nouveaux conseillers techniques, de vouloir avoir au téléphone le nouveau Dir. cab de tel ou tel ministre, etc. Certains clients souhaitent savoir s’il est approprié de le faire. Je leur dirais que non sauf en cas d’actualité urgente qui nécessite d’établir cette connexion-là parce qu’elle est légitime et indispensable. Mais il faut être pertinent pour ce faire. Ce n’est pas parce qu’on sera le premier à entrer en contact avec l’élu qu’on sera le plus mémorable pour ce dernier.

Donc, il vaut mieux viser la précision plutôt que d’être dans la précipitation. Tous les adhérents de l’AFCL l’observent de la même manière. Nos clients se sentent parfois un peu perdus parce qu’avec la nouvelle législature, avec les nouvelles nominations en cabinets, leurs contacts changent. Ils souhaitent rétablir ce lien au plus vite. Mais des relations durables et constructives prennent un certain temps à se mettre en place et notre rôle est de le leur rappeler.

 

Et en ce sens, quels sont les premiers réflexes/les premières démarches à adopter pour la construction de relations pérennes avec les futurs députés et le futur gouvernement après leur élection ?

L’enjeu principal, c’est de bien cibler les personnalités et les objectifs poursuivis pour ces contacts nouveaux à créer. Nous n’avons pas vocation, ni surtout besoin, d’éduquer tous les parlementaires à toutes les problématiques. Il faut opérer des choix.

Pour critériser, il y a deux axes. D’abord, l’axe local. Est-ce qu’un parlementaire a besoin de comprendre ce que produit une usine placée sur sa circonscription ? La réponse, c’est oui.

Puis l’approche nationale. Si, par exemple, ce député s’intéresse ou revendique une certaine spécialisation dans l’univers de la tech, il devient nécessaire de lui apporter une connaissance qui répond à ces compétences sectorielles afin de le maintenir informé des dernières évolutions de ce domaine. En général, quand les gens croient être à jour, ils ont six mois de retard. Et six mois, ça peut être énorme, en particulier dans la tech. Mais c’est aussi la même chose pour le secteur de l’énergie.

Il faut toujours avoir cette volonté, cette ambition, d’être exigeant dans le ciblage, de s’adresser aux décideurs pour lesquels cette information, l’expertise de notre client, a de l’importance. C’est l’essence même de notre métier.

Au sein de la l’AFCL, on s’est toujours battu contre une approche de mass market. On est dans un métier de précision, on n’est donc pas dans un métier de massification. Les personnes qui font des mailings à 577 députés – à part si c’est pour leur parler de la démocratie, auquel cas, effectivement, ils peuvent tous être intéressés. A défaut, cela est contreproductif, parce que ça dilue l’impact de l’information. Le parlementaire qui est en demande, s’il s’aperçoit que tout le monde dans le couloir a accès au même niveau d’information que lui, la valeur de cette information va s’en trouver grandement diminuée. La démarche perd alors en crédibilité et en légitimité.

 

Crédit photo : @Brunswick Group