Une fois n’est pas coutume, nous avons à cœur de démontrer le positionnement stratégique et le rôle de « liant » que revêt la fonction Affaires publiques dans les organisations. Si les synergies avec les métiers de la communication ou du réglementaire sont aujourd’hui assez ancrées, il nous paraissait intéressant de le faire avec d’autres fonctions moins évidentes : les Directeurs administratifs et financiers (DAF).
L’entreprise est par essence le lieu de rencontre entre différents métiers qui contribuent à sa performance économique. Les retours internes sont pourtant souvent les mêmes : les professionnels s’y côtoient sans qu’aucune synergie n’existe entre leurs services. La mise en place de politique de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) pourrait ouvrir la voie à une collaboration plus coordonnée entre des acteurs dont les objets poursuivent des objectifs communs : s’assurer de la santé de l’entreprise et pérenniser son activé dans le temps tout en participant à la construction d’une société plus durable.
À ce titre, les Affaires publiques et les Affaires financières, qui évoluent toutes deux auprès de la gouvernance de l’organisation, ont tout intérêt à œuvrer de concert pour participer de la croissance de leur entreprise. L’entrée en vigueur de la loi PACTE en mai 2019 et de la directive (UE) 2022/2464 dite « Corporate Sustainability Reporting Directive » (CSRD) tend d’ailleurs à faciliter le rapprochement de leurs pratiques : elles doivent s’assurer du suivi de la législation et du respect de la réglementation inhérente au secteur d’activité de l’organisation, tout en ayant un rôle de coordinateur de ses parties prenantes – qu’elles soient au sein des instances financières, des administrations, ou des organisations professionnelles.
Dès lors, ces deux fonctions essentielles pour l’entreprise ne devraient plus se cantonner à un exercice en vase clos, mais au contraire chercher à s’ouvrir l’une à l’autre, car, si leur matière principale diffère, leurs objectifs convergent naturellement. C’est cette synergie naturelle et cette opportunité d’alliance interne que nous avons eu envie de traiter ici. Pour en discuter, nous avons organisé une interview croisée entre Roxane Fournier, Directrice générale de Mavence France (spécialiste du recrutement des fonctions en Affaires publiques), et Stéphanie Capdeville, Fondatrice de ReNaisSens Conseil et spécialiste du recrutement de Directeur des Affaires financières durables. Pour elles, Direction des Affaires publiques et Direction des Affaires financières sont des acteurs stratégiques au sein de l’entreprise qui convergent vers les objectifs RSE et dont les synergies doivent dès lors absolument être exposées.
Comment les Affaires publiques et les Affaires financières contribuent-elles à la transition environnementale chacune de leur côté ? Et quelles synergies peut-on trouver entre ces deux domaines de l’activité de l’entreprise ?
Stéphanie Capdeville : Les DAF jouent un rôle central dans la stratégie de gestion des risques et des opportunités pour l’entreprise, notamment en ce qui concerne la transition durable. Ils sont capables de traduire en termes financiers les risques et les opportunités des modèles d’affaires, en évaluant l’impact de chaque décision sur la santé financière de l’entreprise. Leur analyse va bien au-delà des simples indicateurs financiers : ils incluent désormais des dimensions extra-financières, notamment liées aux enjeux environnementaux et sociaux.
Les DAF doivent aujourd’hui intégrer les critères ESG (Environnement, Social, Gouvernance) dans chaque décision d’investissement. Ces critères deviennent essentiels dans la stratégie financière de l’entreprise. Par exemple, ils veillent à ce que les projets de transition énergétique ou de réduction des déchets soient financés par des instruments adaptés, tels que des obligations vertes ou des prêts durables. Ces outils permettent de garantir que les investissements de l’entreprise soutiennent des projets qui contribuent à la durabilité et à la transition vers une économie plus respectueuse de l’environnement. Ils participent ainsi à l’allocation de capitaux vers des projets à impact positif, tout en respectant les objectifs de rentabilité (en somme, ils assurent l’atteinte des objectifs fixés par les pouvoirs publics et influencés et/ou traduits par les Affaires publiques).
Avec la mise en œuvre de la directive CSRD qui impose des obligations de reporting extra-financier beaucoup plus strictes, les DAF sont désormais chargés de produire des rapports ESG transparents et conformes aux nouvelles normes européennes. Ces rapports permettent de démontrer l’engagement de l’entreprise envers la durabilité, en fournissant des informations détaillées sur la manière dont l’entreprise gère ses impacts environnementaux, sociaux et de gouvernance.
Ces données sont cruciales pour la gouvernance de l’organisation qui peut adapter sa stratégie à la réalité normative et sociétale dans laquelle elle évolue. Par exemple, dans un contexte où les impacts du changement climatique deviennent de plus en plus concrets, les DAF doivent intégrer une gestion proactive des risques climatiques. Ils analysent l’exposition de l’entreprise à des événements météorologiques extrêmes et anticipent les répercussions des législations climatiques de plus en plus strictes, comme celles liées à la réduction des émissions de carbone. Cette capacité à évaluer les risques permet aux DAF d’assurer une meilleure résilience financière de l’entreprise, en adaptant ses plans d’investissement et en optimisant la gestion des actifs pour se prémunir contre les effets économiques du climat. Quel interlocuteur mieux choisi en interne que les Directeurs des Affaires publiques (DAP) pour veiller aux législations applicables ou en phase de l’être ?
Roxane Perrault-Fournier : Il m’est facile de paraphraser ici Stéphanie et remplaçant « Affaires financières par Affaires publiques », c’est un premier indicateur de l’évidente synergie : « Les Affaires publiques jouent un rôle central au sein des organisations… » que ce soit en interne, en externe, ou auprès des pouvoirs publics. En interne, elles ont un rôle de conseil stratégique. En anticipant les évolutions législatives et les tendances sociétales, elles fournissent à la gouvernance et aux différentes directions de l’organisation, des analyses précieuses pour adapter sa stratégie et son fonctionnement aux attentes futures des régulateurs et des consommateurs.
Appliquée à notre sujet, cette fonction de veille permet notamment d’identifier les risques et opportunités liés aux futures régulations environnementales, mais aussi aux évolutions des standards RSE, telles que la transparence sur les émissions de carbone ou les exigences en matière de gouvernance durable. Les Affaires publiques aident la gouvernance à intégrer ces considérations dans les plans de développement à long terme. Elles orientent la stratégie de l’organisation vers des pratiques conformes aux nouvelles normes tout en soutenant sa réputation et sa compétitivité sur le marché. Ce rôle préventif et stratégique est essentiel pour faire de la transition écologique un atout dans la gestion globale de l’entreprise, tout en assurant une croissance durable.
En externe, les Affaires publiques se concentrent en partie sur l’influence des politiques publiques : elles permettent de donner aux pouvoirs publics des éléments concrets sur lesquels s’appuyer pour anticiper les conséquences, positives ou négatives, de nouvelles réglementations qu’ils souhaitent mettre en œuvre. La fonction Affaires publiques permet d’anticiper concrètement l’avenir et de faire collaborer toutes les parties prenantes de manière à trouver la solution la plus optimale : objectif, temps, soutien nécessaire, contraintes économiques, réalités de marchés… Qui de mieux placer en interne que les DAF pour leur fournir partie de cette analyse technique qui sera transmise aux pouvoirs publics pour justifier de son action de lobbying ?
Ces interactions entre Affaires publiques et Affaires financières renforcent la capacité des entreprises à réussir leur transition tout en y alignant leurs impératifs économiques.
Comment les Affaires publiques et les Affaires financières participent-elles de la croissance de l’organisation pour laquelle elles opèrent ?
Roxane Perrault-Fournier : Une stratégie en Affaires publiques prise au sens large de la fonction, c’est-à-dire qui embrasse la communication et les relations publiques, permet d’actionner de nombreux leviers d’influence concourant à un objectif commun : la croissance de l’organisation.
Veille et relations avec les pouvoirs publics, veille économique et développement des relations stratégiques, renforcement de la réputation et influence sur l’opinion publique, gestion des crises… le scope métier des Affaires publiques est large et diffère d’une organisation à une autre. Et à cet égard, l’échelon d’influence, qu’il soit local, national, européen ou international, est en ce sens un levier déterminant. En substance, et prises au sens global, les Affaires publiques permettent d’anticiper les risques (légistiques, réputationnels, sociétaux) et d’identifier des opportunités. L’impact sur la croissance du développement est dès lors évident. Perte de business ou nouvelles opportunités de croissance…
Enfin et pour coller à notre sujet, les Affaires publiques contribuent à influencer et soutenir les initiatives de durabilité et de responsabilité sociale des entreprises renforçant ainsi la crédibilité de l’organisation vis-à-vis des pouvoirs publics, mais aussi et surtout des consommateurs sur un biais réputationnel éminemment puissant.
Une fois identifiées par les Affaires publiques, les opportunités ou contraintes en matière de RSE vont être traitées par les Affaires financières qui bénéficient elles de la conclusion fatidique : croissance ou décroissance.
Stéphanie Capdeville : Les DAF identifient des opportunités d’investissement stratégiques dans des secteurs à forte croissance et respectueux de l’environnement, telles que les énergies renouvelables, la mobilité durable, ou les technologies propres. Avec les énergies renouvelables, par exemple, elle se positionne sur des marchés en expansion tout en réduisant son empreinte carbone. Avec la mobilité durable, elle répond à la demande croissante des consommateurs et des régulateurs pour des solutions plus vertes… Ces investissements permettent non seulement d’améliorer la rentabilité de l’entreprise, mais aussi de garantir un positionnement stratégique à long terme sur des secteurs en pleine transition qui répondent aux attentes croissantes en matière de durabilité.
Ensuite, les DAF jouent un rôle stratégique auprès des parties prenantes de l’organisation. Ils sont d’abord responsables de la réduction du coût du capital, avec pour objectif de renforcer la compétitivité de l’entreprise sur le long terme. Cela permet d’investir davantage dans des projets stratégiques tout en bénéficiant d’une image renforcée auprès d’acteurs de premier ordre, tels que les investisseurs, les clients et les régulateurs, qui valorisent entre autres la durabilité. Ces acteurs sont souvent disposés à accorder des conditions de financement plus favorables aux entreprises respectant des standards élevés en matière de durabilité (taux d’intérêt réduits sur les prêts verts, obligations durables, etc.).
De plus, au sein des entreprises cotées, l’investissement socialement responsable devient un enjeu majeur, de plus en plus pris en compte par les investisseurs. C’est un véritable levier pour valoriser les entreprises, en intégrant des pratiques durables et en incorporant des critères ESG dans la stratégie financière.
Chacune de ces stratégies inscrit l’entreprise dans une démarche sociétale. Le rôle du DAF est de créer un cercle vertueux où l’engagement environnemental et social de l’entreprise devient un atout pour sa croissance économique et sa résilience future. Son expertise en fait le partenaire idéal pour les Affaires publiques dans l’analyse des tendances sectorielles dans laquelle leur organisation évolue. Sur des marchés où les régulations deviennent de plus en plus strictes et où la demande pour des solutions respectueuses de l’environnement est en augmentation, tous deux sont capables de faire émerger des avantages concurrentiels déterminants pour favoriser l’activité économique de leur organisation. Ainsi, en investissant sur la « valorisation durable » de l’entreprise, le DAF donne aux Affaires publiques les moyens d’être plus pertinentes dans leurs démarches auprès des décideurs. Au même titre que des politiques de développement économique ou de ressources humaines qui sont pérennes pour les territoires, l’exemplarité de l’entreprise qui se fait jour par le respect de la réglementation environnementale et dans sa capacité à répondre aux engagements nationaux, renforce la position de l’entreprise en tant qu’interlocuteur du décideur et, par la même occasion, donne de l’élan à l’action des DAP dans la défense de ses intérêts.
On comprend dès lors que pris séparément, les métiers des Affaires et des Affaires publiques poursuivent un but commun : la croissance de l’organisation. Il apparaît intéressant de les rapprocher pour permettre à l’organisation d’atteindre ses objectifs de manière plus efficiente. Nos échanges révèlent des synergies très concrètes, cohérentes et faciles à mettre en œuvre. Elles prouvent que ces fonctions ont tout à gagner à évoluer ensemble pour être plus pertinentes au quotidien.
Au-delà, c’est bien tout l’écosystème qui entoure ces deux métiers qui doit s’adapter pour renforcer leur interopérabilité. Plutôt que d’évoluer en vase clos, les métiers du recrutement en Affaires publiques et en Affaires financières doivent donc savoir se rapprocher de manière opportune pour injecter de bonnes pratiques profitables aux organisations.