Depuis le début d’année, les questions sociales et environnementales sont au cœur des préoccupations avec le retrait des États-Unis de l’accord de Paris et l’incertitude autour de plusieurs grands textes du Green Deal européen (CSRD, devoir de vigilance et taxonomie verte). Quels en sont les impacts pour les organisations ? En quoi ces tensions influencent-elles le déploiement de leur stratégie RSE ?
Pour y répondre, Emmanuelle Legrand, Directrice adjointe de Mavence France en charge du pôle RSE et Anne-Solène Le Bobinnec, Conseillère seniore de Mavence France et consultante/formatrice en RSE ont croisé leurs regards et expériences sur ces métiers qu’elles côtoient au quotidien.
Adopter une vision de long terme
Emmanuelle Legrand : Malgré le climat apparent de rétro-éco pédalage, les professionnel·les de la RSE savent que leurs actions s’inscrivent dans le temps long. Comme l’explique très justement Etienne Bodin, directeur Affaires publiques, Communication corporate et RSE de BUT Conforama « Les objectifs RSE du groupe sont notre boussole, et ils ne dépendent pas des conjonctures politiques, mais de la volonté de nos collaborateurs et de notre engagement collectif ». Son témoignage rappelle que la réussite d’une démarche RSE réside dans l’alignement des actions de l’organisation avec sa raison d’être, qui devient une véritable force dans un contexte de changement. Les grands groupes l’ont d’ailleurs bien compris : selon le dernier rapport annuel de Corporate Knights, les 100 entreprises les plus engagées dans la transformation durable poursuivent leurs efforts malgré l’incertitude économique et politique mondiale. En moyenne, elles consacrent près de 58 % de leurs investissements à des projets de développement durable, soit une progression de 3 points par rapport à l’année précédente.
Anne-Solène Le Bobinnec : En effet, ce contexte ne remet pas en cause les démarches RSE des entreprises à partir du moment où elles ont été intégrées au cœur de la gouvernance. La RSE n’est pas un effet de mode. L’affirmer serait d’ailleurs entrer en pleine contradiction avec la notion de développement durable qui, par essence, sert la pérennité et la résilience de l’entreprise, c’est-dire sa capacité à s’adapter aux crises et au changement.
Éviter l’effet « ON/OFF »
Emmanuelle Legrand : C’est pourquoi, les professionnel·les de la RSE soulignent que le pire pour une entreprise c’est l’effet ON/OFF, c’est-à-dire l’idée que la conjoncture influerait sur l’investissement en RSE. C’est d’ailleurs la même logique qui s’applique aux métiers des affaires publiques, où l’on doit accepter d’investir sur le long terme pour créer les conditions du succès. Et une des conditions essentielles du succès d’une démarche RSE, c’est qu’elle serve la performance économique de l’entreprise.
Anne-Solène Le Bobinnec : Absolument ! La RSE repose sur la triple dimension du développement durable : sociale, environnementale et économique. Ce n’est pas une démarche cosmétique qui serait déconnectée de la stratégie de l’entreprise ou de son modèle d’affaires. Certaines récentes décisions politiques prises sous la pression d’une minorité d’entreprises qui n’ont pas compris l’avantage compétitif que représente la RSE – et ne s’en sont donc pas saisies – créent des faux débats, amplifiés par les réseaux sociaux. À titre d’exemple, 80 % des entreprises françaises se déclarent satisfaites de la CSRD, selon une consultation coordonnée en février par l’association Make Sense auprès de 300 entreprises. Les dirigeant·es qui ont le plus d’expérience savent se détacher de ces décisions conjoncturelles, et à raison, car la RSE est un facteur de compétitivité européenne. Dans un contexte où la Chine et les États-Unis misent sur des stratégies de « prix bas » ou de protectionnisme associées à un dumping environnemental et social, la valeur ajoutée de l’Europe réside dans ses démarches durables, soutenues par la force de son capital humain.
Accompagner le changement et structurer les métiers
Emmanuelle Legrand : L’un des défis majeurs des métiers de la RSE réside dans l’accompagnement au changement. Cela implique des compétences solides en communication, aussi bien en interne qu’en externe. Les professionnel·les doivent structurer et partager la démarche RSE pour en faire un véritable levier de différenciation. Il s’agit de dépasser les discours d’engagement parfois cosmétiques pour aller vers une véritable communication responsable et transformative. Comme tu le soulignes, la RSE est avant tout une démarche collective.
Anne-Solène Le Bobinnec : C’est pour cette raison qu’il est fondamental d’embarquer l’interne à tous les niveaux en synchronisant une démarche top down et bottom up : s’appuyer à la fois sur les collaborateurs et la direction. Il s’agit de mobiliser les différentes divisions métiers tout autant que de s’engager avec les parties prenantes externes. Pour cela, il faut des personnes avec une expérience du management transversal, en capacité de s’appuyer sur un réseau d’alliés solide et doté d’une fine compréhension des rapports de pouvoir et d’influence. Cette posture se retrouve assez naturellement chez les professionnel·les des affaires publiques. On voit également émerger des profils en charge des dossiers de conformité sociale et environnementale (i.e. compliance), qui peuvent venir des affaires publiques et réglementaires, avec généralement une solide formation juridique.
Emmanuelle Legrand : Tout à fait, et j’ajouterai qu’à l’image du directeur de cabinet dans le monde politique, on repère aussi la fonction de chief of staff pour seconder et conseiller la direction RSE, englobant parfois le suivi du reporting extra-financier. Là encore, il est intéressant de noter que la professionnalisation des métiers de la RSE suit une trajectoire similaire à celle des affaires publiques. Par le passé, on a pu observer des personnes se voir proposer la responsabilité de la RSE sans formation spécifique et parfois avec une vision réduite du métier au mécénat. Cela n’est pratiquement plus le cas. Le même phénomène a existé pour les professionnel·les des affaires publiques, perçu·es au début, comme des personnes disposant essentiellement d’un carnet d’adresses sans prendre en considération leurs connaissances des processus législatifs, leurs compétences stratégiques et rédactionnelles pour définir et vulgariser les positions de l’entreprise, ou encore leur capacité à animer un dialogue constructif et à s’engager au sein de coalitions. Désormais, au même titre que les différences entre lobbying, relations institutionnelles nationales ou locales et communication d’influence sont reconnues, les métiers de la RSE se structurent avec une palette de spécialisations sur différents domaines d’actions et secteurs.