La présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) débutera au 1er janvier 2022. Au cours de cette période de 6 mois, c’est le Président de la République française qui aura la charge de conduire les travaux de l’Union européenne, tout en ayant l’opportunité de mettre à l’agenda un ensemble de priorités qui lui sont propres. Un tel rendez-vous présente des enjeux qui restent pourtant mal connus et parfois mal appréhendés en politique française et dans l’espace public. En effet, il ne s’agit que de la 13e fois que la France se voit confier ce rôle, son dernier exercice remontant au second semestre 2008. Antoine Lefranc, Consultant senior au bureau France de Mavence, a accepté de répondre à nos questions pour évoquer les défis à relever pour les professionnels des affaires publiques au cours de cette présidence française de l’UE.

Antoine, comment les professionnels entretiennent-ils et/ou transmettent-ils la mémoire de la conduite des Affaires publiques en temps de présidences de l’UE ?

La problématique est, je crois, assez simple. Soit vous étiez présent en 2008, que vous ayez été actif dans les affaires publiques ou au sein des administrations, à la Représentation permanente ou en cabinets ministériels. Votre vécu et votre pratique de l’intérieur d’une présidence européenne – française de surcroît – sont bien réels et servent à préparer la prochaine présidence tout en transmettant votre expérience à vos équipes. Soit vous n’étiez pas présent et malheureusement, vous ne pouvez que vous reporter aux récits des professionnels expérimentés. Dans ce cas-là, il y a un intérêt majeur à assister à un certain nombre de conférences – qui ont commencé à avoir lieu – dans lesquelles les intervenants témoignent de ce qu’a été 2008 et ont une capacité, forts de leur expérience, à se projeter sur ce que pourrait être la présidence de 2022, même si les enjeux, l’environnement politique et économique sont bien différents aujourd’hui.

Et puis, je dirais qu’il y a également un troisième cas de figure pour des professionnels qui exerçaient au sein d’organisations au niveau européen. Ils n’ont peut-être pas vécu la présidence française de 2008, mais s’ils agissent sur des dossiers européens, ils suivent au quotidien le travail des différentes présidences qui se succèdent tous les six mois.

De fait, ils ont une connaissance du rôle que joue la présidence dans les institutions européennes et de l’environnement dans lequel se préparent ces périodes de gouvernance. Clairement, c’est une expérience unique et assez rare dans les capitales européennes.

 

Quels sont les défis qu’ils doivent relever aux niveaux national et européen avec ce mandat de six mois qui s’ouvrira au 1er janvier 2022 ?

La PFUE à venir est tout à fait particulière puisqu’elle se déroule l’année de l’élection présidentielle et des élections législatives. Cela fait que nous savons d’ores et déjà que les actions principales de la présidence française du Conseil se tiendront sur les deux ou les trois premiers mois de l’année 2022.

Aussi, je dirais que les défis pour les professionnels des affaires publiques aujourd’hui sont doubles. D’abord, comme pour toute présidence, on attend beaucoup de cette période. Il est de fait possible qu’un certain nombre de professionnels des affaires publiques aient reçu déjà beaucoup de sollicitation de la part de leurs directions, qu’elles soient françaises, européennes ou mondiales, pour qu’un certain nombre d’intérêts avancent pendant cette période de six mois.

C’est toujours la grande ambivalence entre beaucoup d’espoirs et un rôle certes réel d’une présidence, mais qui ne peut pas tout.

Ensuite, une des difficultés majeures qui se présente aux professionnels des affaires publiques est que cette présidence va être complètement entremêlée à la campagne présidentielle.

Il est clair aujourd’hui, même si le président Emmanuel Macron n’est toujours pas candidat à sa propre réélection, que la présidence française servira certainement de tremplin dans un grand nombre de thématiques et que, d’un point de vue politique, nous pouvons aisément comprendre qu’il cherchera à avoir des résultats concrets au niveau européen qui pourront servir dans le cadre de sa potentielle future campagne.

Cela signifie aujourd’hui que l’accès à l’information concernant la préparation de la présidence est un peu compliqué.

 

Parmi les thématiques prioritaires annoncées par la France, les questions de santé trouvent une place de choix. Outre l’action européenne autour de la crise Covid-19, la lutte contre les épidémies et les grandes maladies, et la promotion de la santé sont les enjeux auxquels la Présidence française se propose de répondre. Comment les professionnels des Affaires publiques s’organisent-ils en amont de la présidence pour promouvoir les propositions, rapports et études des organisations qu’ils représentent ?

Cette crise de la Covid-19 au niveau européen a mis en lumière les difficultés de coordination d’action entre les États membres et la nécessité de discuter et agir beaucoup plus étroitement tout en ayant même sur certains aspects, une véritable politique de santé publique européenne.

Il est important de rappeler qu’aujourd’hui, il n’y a pas de compétence en matière de santé publique au niveau européen. La crise de la Covid-19 a ainsi mis sur la table la grande question de savoir si, finalement, une partie des politiques de santé publique ne devrait pas être en partie déléguée au niveau européen.

C’est de fait un grand chantier qui s’ouvre devant les institutions européennes et les États membres. Je dirais que seul un grand pays, par exemple la France, pourrait prendre des initiatives en ce sens.

Qu’est-ce que cela veut dire aujourd’hui pour les professionnels des affaires publiques ? Nous sommes peut-être à la croisée des chemins. Un grand nombre de secteurs industriels qui n’ont aujourd’hui comme interlocuteurs que le ministère de la Santé, voire les Agences régionales de santé, pourraient demain interagir avec le niveau européen. Est-ce que voulu ou souhaité par ces professionnels, je ne sais pas. Mais en tout état de cause, c’est certainement un point d’attention majeur pour tout professionnel des affaires publiques évoluant dans les secteurs de la santé. La France prendra-t-elle une initiative pour aller vers plus d’intégration européenne des politiques de santé, c’est certainement un enjeu majeur de la présidence de l’UE à venir.

 

Quels sont d’ailleurs les types de profils recherchés par les syndicats, les entreprises, les cabinets… pour accompagner la Présidence française dans l’exercice de cette fonction peu commune (compétences, savoir-faire, expériences précédentes) ?

Lorsque l’on est directeur d’un département d’affaires publiques, c’est tout l’enjeu de recruter des profils atypiques, européens pour préparer la présidence française de l’Union européenne. On constate que de plus en plus de professionnels, et ce même les directeurs de département des Affaires européennes, doivent s’intéresser aux travaux législatifs européens. Et à ce titre, cela a beaucoup de sens que de recruter quelqu’un qui a une expérience bruxelloise.

En termes de profils proprement dits, je dirais qu’il y a le profil dit « classique » que l’on retrouve, également pour des affaires purement nationales. C’est un ancien assistant parlementaire européen ou ayant travaillé au sein du Parlement européen, ou des personnes qui ont déjà travaillé pour des associations ou des fédérations professionnelles à Bruxelles et qui sont rompues aux mécanismes de décision bruxellois. Également des profils qui ont effectué des stages au sein de la Commission européenne et qui donc, connaissent de l’intérieur le jeu institutionnel bruxellois.

Il va sans dire aussi que parmi les professionnels qui travaillent à Paris, certains disposent d’une expérience importante liée aux institutions européennes, qu’il s’agisse de personnes au sein de l’Assemblée nationale, du Sénat ou dans les administrations, puisqu’évidemment toutes les semaines vous avez des travaux au sein du Conseil. Et la France y est représentée par des fonctionnaires de qualité qui permettraient aussi à des entreprises d’acquérir une expérience du fonctionnement des institutions.

Parmi les compétences requises pour les profils européens, je dirais tout d’abord la maîtrise des mécanismes de processus décisionnel européen et le jeu institutionnel entre la Commission, le Parlement européen et le Conseil. Bruxelles n’est pas devenue par hasard la plus grande ville au monde, avec Washington, pour l’influence. Il y a un véritable jeu institutionnel et ce sont les compétences qu’il faut rechercher.

En ce qui concerne le savoir-faire, comme pour tout métier d’influence :

  • D’abord savoir élaborer une cartographie ;
  • La pratique du consensus : 27 États membres d’un côté, la Commission, de l’autre, le Parlement européen où les coalitions se font et se défont au gré des textes. Il faut avoir un véritable talent pour anticiper et lire la formation de coalitions et de consensus, et savoir jouer avec ;
  • J’ajouterais au minimum une seconde, voire une troisième langue étrangère – ce qui est indispensable quand on travaille à Bruxelles ;
  • Enfin, le fait que ce sont 27 États membres, donc 27 façons de penser, de voir la politique et d’engager avec vos interlocuteurs. Cela veut dire qu’il faut être diplomate, qu’il faut être psychologue et qu’il faut savoir s’adapter à toutes ces différences culturelles. Et ça, c’est essentiel.

 

Alors, qu’est-ce que signifie une présidence réussie pour un professionnel des affaires publiques ?

Je crois que ça peut être plusieurs choses. Tout d’abord, lorsqu’un texte en discussion à Bruxelles vous concerne, le fait que la France puisse allouer un certain nombre de personnels pour les groupes de travail au sein du Conseil et, de fait, donne un rythme de réunions, c’est une situation qui présente des opportunités pour les professionnels des Affaires publiques. Voir ses priorités inscrites à l’agenda, peut déjà être un très bon résultat.

Sur les résultats en tant que tels, la présidence, en théorie, est neutre. On croit souvent que la présidence peut beaucoup influer le résultat final et le processus d’adoption. Certes, la présidence « dirige » les groupes de travail du Conseil, donne le rythme et facilite la formation de consensus, mais lorsqu’il s’agit de textes qui sont en codécision, c’est-à-dire que le Parlement européen a le même pouvoir que le Conseil, son rôle est bien moindre.

Deuxième cas de figure qui n’est pas législatif, mais qui est un sujet que les professionnels des affaires publiques portent pour leur organisation : c’est convaincre la France de prendre une initiative au niveau européen, qui ne se traduira pas forcément de suite en initiatives législatives, mais qui mettra en tout état de cause la Commission européenne sur les bons rails pour de futurs travaux et peut-être, la proposition in fine d’un texte. Cela peut revêtir plusieurs formes : cela peut être un paragraphe ou une ligne dans une des conclusions d’un Conseil invitant la Commission à travailler ; cela peut aussi être un événement, une conférence portée par la présidence française avec des conclusions adressées à la Commission européenne.

Finalement, l’objectif est de voir son sujet, sa thématique inscrit dans la liste des priorités et/ou des événements de la France tout en sachant que les résultats ne seront pas forcément immédiats, mais interviendront un ou deux ans après. L’intérêt est qu’ils aient été portés par la France.

Et puis enfin, troisième élément, serait d’assurer, lors d’événements organisés sous l’égide de la présidence, l’obtention d’un « siège » / d’un temps de parole pour sa propre organisation, afin de lui donner ainsi qu’à ses dirigeants si besoin une plus grande visibilité.