La collision de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE) avec l’élection présidentielle et les législatives Françaises est un évènement tout à fait particulier et crée, à bien des égards, une curiosité dans la gestion des instances de gouvernance européenne. Cette séquence s’annonce, en ce sens, plus critique envers le rôle des institutions européennes et les capacités réelles de l’Union européenne (UE). Vu depuis Bruxelles, le calendrier très politique de la France en 2022 sera donc scruté, commenté et analysé de la même manière que les dernières élections en Allemagne le furent il y a encore quelques semaines.

Quel regard doit-on porter depuis l’UE sur ce calendrier politique français ?

La PFUE se doit d’être l’expression de l’ambition européenne de la France, surtout pour un Président qui avait mené campagne, en 2017, autour des enjeux européens, et introduit le concept ambitieux d’Europe souveraine. Elle sera, à ce titre, une opportunité d’européaniser les enjeux d’affaires publiques en France, de sensibiliser les organisations sur les enjeux, les acteurs et les leviers européens.

Pour autant, la collision des élections présidentielles et législatives risque bien évidemment de donner l’opportunité à des opposants de prendre cette séquence politique en otage, pour exprimer une vision critique de l’action européenne et, de fait, affaiblir la voix de la France.

Cela aura indéniablement un impact sur l’ambition de cette PFUE comme sur le rythme des négociations au Conseil qui devrait se ralentir à l’horizon du premier tour de la présidentielle. Enfin, il n’est pas à exclure que cette PFUE s’achève avec à sa tête, une personnalité politique différente du Président qui l’aura débutée. Cela ne serait pas pour autant une nouveauté dans la pratique au niveau européen.

Dans tous les cas, pour les professionnels des affaires publiques, la PFUE représente une opportunité de projeter l’attention, les ressources sur des sujets européens, tout en européanisant ses réseaux.

 

Un alignement des priorités entre instances européennes et espace politique français

La PFUE a un agenda ambitieux et peut être trop de priorités, il faudra choisir ! Parmi ces priorités, on compte l’Europe sociale avec le serpent de mer du salaire minimum européen, l’agenda numérique et l’avancée des négociations sur le DSM/DSA, l’autonomie stratégique afin de réduire la dépendance de l’industrie européenne aux chaines d’approvisionnement mondiales, la Santé… L’agenda climatique et celui de la défense sont également à ajouter – ce dernier étant peut-être une spécificité française.

Mais d’autres sujets viendront s’inscrire à l’agenda de la PFUE, dépassant la sphère nationale pour s’inviter dans la gestion de la présidence. Ainsi, la politique migratoire de même que les conséquences du Brexit sur la gestion des frontières et la pêche seront des dossiers centraux pour la France. La capacité de la France à trouver des solutions au nom de l’UE sera sans nul doute analysée et évidemment critiquée.

Corolaire de ces élections françaises, la PFUE sera l’occasion d’inscrire l’Europe dans la campagne électorale – une situation offrant aux candidats à la présidence de la République l’occasion de préciser leurs visions de l’UE.

Pour nous autres praticiens français des affaires publiques, le premier semestre 2022 donnera une caisse de résonnance formidable aux intérêts que nous représentons – probablement plus que la seule PFUE, soyons honnêtes. Notre capacité à lier un sujet national à un levier européen devrait permettre d’attirer l’attention des équipes des candidats, quand la multiplication des candidatures et des primaires donne autant de points d’entrée pour mettre à l’agenda certains des sujets que nous défendons.

 

Une préparation nécessaire pour mieux appréhender les différences entre pratiques des Affaires publiques à Paris et à Bruxelles

En tant que praticien des affaires publiques, le lobby à distance montre de nombreuses limites. Pour influencer, il faut une proximité intellectuelle, culturelle et politique.

Certains secteurs se sont traditionnellement organisés pour mettre en avant leurs besoins. C’est le cas notamment des organisations professionnelles industrielles dont les succursales ou fédérations européennes constituent des relais privilégiés et des points d’entrées naturelles pour le secteur privé. Celles qui sont déjà largement présentes avec des représentants ou des bureaux européens partent déjà avec une longueur d’avance par leur maitrise des relais d’intelligence et d’influence (pas uniquement français).

En dehors de ces réseaux très structurés, gravitent autour des sphères de décisions, de nombreux groupes de travail et associations qui permettent la circulation de ces informations.

Par ailleurs, disposer de fortes connexions au niveau national avec le secrétariat général, les cabinets ministériels sera un atout différenciant dans cette présidence qui restera tout de même très centralisée.

 

Une période de synergie des pratiques des Affaires publiques entre Bruxelles et Paris avec un paysage politique français vecteur d’opportunités

Reste qu’il est capital de localiser et de contextualiser son discours dans une stratégie d’affaires publiques gagnante. Si un parlementaire français ou un parlementaire allemand ne sont pas sensibles au discours sur l’impact de mesures à prendre sur leur territoire, il en sera de même pour les représentants des États membres au Conseil.

De nombreuses organisations ne disposent pas d’équipes « affaires publiques » dédiées à chaque pays. C’est donc à la charge du responsable affaires publiques de mobiliser, d’intéresser des cadres de l’entreprise au développement d’une stratégie d’affaires publiques européennes ou nationales.

Cela nécessite de l’énergie, de la conviction et une capacité à relier les enjeux de business aux problématiques politiques nationales ou locales. C’est à la fois une nécessité pour sensibiliser les départements opérationnels au travail législatif et règlementaire. On note à cet égard que le recrutement de profils affaires publiques s’oriente vers des candidat.es qui ne sont pas uniquement capables de trouver l’information ou de rédiger des rapports savants sur l’actualité européenne, mais vers des professionnels ou des managers qui disposent d’une vraie capacité d’identifier les priorités, une solide connaissance de l’entreprise, de son fonctionnement et une capacité de mobiliser les ressources internes avec efficacité.

Ces profils hybrides – européens avec un ancrage national – disposant d’une capacité à appréhender les impacts sur les opérations et les connecter aux dynamiques locales, nationales et européennes seront sans nul doute très recherchés pour favoriser l’émergence des intérêts des entreprises qu’ils devront représenter.

Ainsi, la séquence politique et électorale qui s’ouvre va permettre aux organisations de s’interroger sur leur stratégie européenne. Va-t-on parler plus et mieux d’Europe ? Il faut l’espérer. Il s’agit là aussi du rôle des professionnels des affaires publiques d’établir des ponts entre le niveau national et européen. La sensibilisation sur les enjeux européens des organisations en sortira grandie, et au fond, le débat public en sera gagnant lui aussi.