Dans le prolongement de nos entretiens avec les professionnels des Affaires publiques, nous avons eu le plaisir de rencontrer Jérôme Jean, Directeur des Affaires publiques du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS).

En termes de culture organisationnelle, comment le GIFAS est-il structuré pour représenter les intérêts de ses adhérents ?

Le Syndicat patronal et national de l’aéronautique a été créé en 1908 par les pionniers de l’aéronautique. Le GIFAS, s’inscrit dans cette continuité, dans le prolongement des travaux engagés par ces passionnés de l’aéronautique, ingénieurs et techniciens audacieux, qui ont permis la constitution d’une filière industrielle française de l’aéronautique.

Aujourd’hui, le GIFAS, c’est 45 permanents à travers plusieurs directions à la fois opérationnelles et thématiques. Elles sont placées sous l’autorité du délégué général et du délégué général adjoint. Parmi les directions des opérations, on trouve la direction des Affaires industrielles, la direction Affaires économiques et la direction des Affaires juridiques et administratives. Les autres directions sont davantage plus politiques, la direction R&D, Environnement et Espace, la direction de la Communication et la direction des Affaires publiques.

Le GIFAS comprend un Conseil d’administration qui se réunit tous les mois en présentiel et uniquement en présentiel. Autour du président du GIFAS, qui est actuellement Guillaume Faury, Président exécutif d’Airbus, on retrouve les représentants des donneurs d’ordres, c’est-à-dire directement les PDG des organisations adhérentes. Ils n’ont pas le droit de se faire représenter. Au sein du conseil d’administration, siègent également des représentants ETI et des PME. Son rôle est de donner les orientations et des actions qui vont être menées au nom de la filière aéronautique et spatiale française.

Sous le conseil d’administration, vous avez deux instances qui sont le comité aéro-PME qui regroupe les PME de la filière, et le Groupement des équipementiers aéronautiques et de défense qui regroupe les ETI de la filière.

Puis, les travaux du GIFAS s’organisent autour d’une vingtaine de commissions/comités thématiques dont les directeurs sont rapporteurs et chaque commission est présidée par un industriel. Il y a le comité industriel, le comité de défense, la commission environnement, la commission recherche et développement, la commission communication…

Dans chacune de ces commissions est représenté un panel de nos adhérents, c’est-à-dire des donneurs d’ordre, mais également des PME et des ETI membres de ces commissions. Ils travaillent autour de leurs thématiques et envisagent des actions à mener, des actions d’influence, de communication, des actions industrielles pour servir la filière. L’objectif du GIFAS, c’est bien évidemment de représenter les intérêts de l’ensemble du secteur auprès des acteurs publics, mais c’est aussi d’améliorer la fluidité et le fonctionnement de la filière pour répondre au mieux aux demandes de nos clients. Car il faut le souligner, la filière aéronautique est une filière solidaire, cohérente, structurée, ce qui fait sa force. Il y a donc toute une partie industrielle, opérationnelle et toute une partie plus politique. Tout ceci pour animer un groupement de 427 adhérents à jour de cotisation, PME, ETI, et donneurs d’ordre, c’est-à-dire les grandes sociétés.

Le GIFAS représente des intérêts très larges, allant de l’aviateur civil à l’industrie de la défense en passant par le développement de programmes d’innovation pour le spatial. Comment fait-on dialoguer des activités aussi diverses ?

Les travaux se font à l’intérieur de nos commissions thématiques et c’est là où on met vraiment les mains « dans le cambouis ». Ça permet d’avoir un dialogue permanent avec une représentation de l’ensemble des adhérents. Le conseil d’administration qui a une représentativité de la filière très authentique par rapport à l’ensemble de nos adhérents permet d’avoir de très bonnes remontées de terrain parce que chaque membre du conseil d’administration a un lien très direct avec de nombreux adhérents.

La deuxième chose aussi que nous organisons deux fois par an, une réunion d’information générale des adhérents où à l’ordre du jour est inscrit « l’actualité de la filière », les « techniques de production à venir » et les « enjeux industriels du moment ». Ces évènements sont organisés à proximité du GIFAS. Il y a souvent de près de 200 à 300 adhérents qui viennent en présentiel à ces réunions d’informations générales. Ce sont donc des actions très concrètes qui permettent de dialoguer très régulièrement.

Depuis la crise de la Covid aussi, il y a un troisième point à souligner, c’est que nous avons mis en place une task force de la filière avec des watchtowers qui nous permettent de faire face aux crises successives auxquelles la filière aéronautique et spatiale a été confrontée. Il faut rappeler que le trafic aérien s’est effondré du jour au lendemain avec la pandémie en mars 2020 et pendant plusieurs mois, ce qui a eu des répercussions extrêmement préoccupantes sur la production industrielle et sur l’organisation industrielle de la filière, auxquelles s’est ajoutée la crise énergétique, la crise inflationniste, la crise géopolitique avec la guerre en Ukraine qui fait que l’on vit de plus en plus dans un contexte d’incertitude et donc on est obligé de veiller en permanence sur l’état de santé de notre filière.

La task force GIFAS est donc toujours en vigueur aujourd’hui et elle nous permet plus que jamais d’avoir des retours très concrets de la part du terrain et de nos adhérents. Le fait que l’on soit une filière très organisée, très structurée, très solidaire et très cohérente fait que cela renforce ce dialogue permanent avec nos adhérents.

À cet égard, comment fait-on des Affaires publiques dans le secteur de l’aéronautique et quel dialogue opère-t-on avec les pouvoirs publics au sein du GIFAS (en France et auprès de l’Union européenne) ?

Ce qui est très important, pour restituer le contexte de la filière aéronautique et ce qui fait son succès aujourd’hui, et même depuis plusieurs années, c’est que c’est une coopération et une concertation permanente avec les services de l’État depuis le lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C’est un co-investissement État-industrie et à ce titre, le dialogue est permanent avec l’État et avec les pouvoirs publics, pour plusieurs raisons.

Parce que c’est une industrie stratégique en termes de souveraineté, en termes économiques également, et aussi parce que l’industrie aéronautique et spatiale est une activité duale, civile et militaire. Et donc, bien évidemment, tout ce qui touche au militaire ne peut se faire qu’en coopération étroite avec l’État puisque la base industrielle et technologique de défense dont font partie plusieurs adhérents du GIFAS, sert à nos armées pour la sécurité du pays. Donc, cette essence même de l’activité de l’industrie aérospatiale fait que le dialogue est permanent avec les pouvoirs publics.

Mais ce n’est pas parce que le dialogue est permanent avec l’Etat qu’il ne faut pas exercer certaines actions d’influence. Nous avons quand même aussi des enjeux à défendre, et notamment des enjeux de compétitivité, puisque notre CA représente 81% à l’exportation. Donc, bien évidemment, le business model s’inscrit dans une économie mondialisée et tout ce qui peut être un frein, en France, à la compétitivité économique constitue un handicap majeur pour notre industrie. Et c’est pourquoi on essaye de rappeler très régulièrement aux pouvoirs publics qu’aujourd’hui, par rapport à nos concurrents, il faut toujours être plus compétitifs. Donc, on est très vigilant sur ce point.

Enfin, le GIFAS est aussi le rapporteur du CORAC. C’est le Conseil d’orientation pour la recherche aéronautique civile, un ’organisme de concertation État/industrie qui rassemble l’ensemble des acteurs de l’aérien. Autour de la table, vous avez les industriels aéronautiques, mais vous avez aussi les compagnies aériennes, l’État, le ministère des Transports, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), etc. Et le CORAC se réunit une fois par mois dans les locaux du GIFAS il applique une feuille de route qui a été déterminée sous l’autorité et en concertation avec l’État. Elle vise à mettre en pratique et à trouver des solutions très innovantes pour les transports aériens. Le CORAC a été mis en place dès 2008 dans le cadre du Grenelle de l’environnement, sous l’autorité de Jean-Louis Borloo, qui était ministre de l’Écologie, et il faut dire que ce CORAC qui est devenu un dispositif majeur et essentielle au sein de l’ensemble de la filière aéronautique en France puisque grâce à ce CORAC, on peut ainsi trouver, identifier les projets qui vont faire l’avion de demain, plus propre et plus performant. Et ça, c’est vraiment un symbole, justement, du dialogue en termes d’affaires publiques entre l’État et les acteurs de l’aérien.

Les industriels de l’aéronautique et les exploitants se sont engagés à poursuivre des objectifs de « verdissement » très ambitieux. Quel est le rôle du GIFAS à cet égard et comment contribue-t-il à accompagner ses adhérents dans la mise en place des mesures attendues ?

Plutôt que de parler de verdissement, on parle de « décarbonation du transport aérien ». C’est la priorité de toutes les priorités de l’industrie aéronautique et spatiale française depuis plusieurs années, bien avant le Covid d’ailleurs. À titre d’exemple, on avait montré déjà au Salon du Bourget de 2015, puis 2017, ce qui remonte déjà à presque dix ans, toutes les innovations de la filière pour montrer les innovations majeures qui étaient intégrées aux aéronefs pour protéger l’environnement. La prise de conscience chez nos industriels remonte au moins il y a 20 ans, sinon plus, car les aéronefs qui sont fabriqués ou qui ont commencé à être fabriqués il y a vingt ans sont des aéronefs qui étaient déjà beaucoup plus propres que ceux qui étaient fabriqués il y a trente ou quarante ans. Cette prise de conscience de la nécessité de protéger l’environnement au sein de l’industrie, n’a pas attendu que ça devienne un phénomène d’actualité et que certains partis politiques puissent s’approprier ces enjeux. Nous, ça fait très longtemps qu’on les a mis parmi nos priorités.

Depuis la crise du Covid, le plan aéronautique ambitieux annoncé par le Gouvernement en Juin 2020 a permis de prévoir des moyens importants pour accélérer l’innovation dans l’industrie aéronautique et spatiale. Nous sommes en plein travaux actuellement pour inventer l’avion de demain qui sera totalement propre. Je vous rappelle qu’à la dernière Assemblée générale de l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale), a été décidée d’avoir comme objectif la neutralité carbone pour le transport aérien mondial en 2050. L’aéronautique, ce sont des cycles longs, donc 2050 pour l’aéronautique, c’est demain. On ne fabrique pas un avion comme on fabrique une voiture. Et donc, nous sommes en plein travaux pour assumer et assurer des ruptures technologiques complètes et le plus rapidement possible. Il y a un objectif, c’est 2050. Mais nous, les fabricants d’aéronefs du GIFAS font tout pour que ce soit le plus tôt possible. Est-ce que ça va passer par un avion à hydrogène total avec un hydrogène propre ? Les aéronefs que nous produisons aujourd’hui peuvent incorporer une quantité importante de biocarburants pour moins polluer. Mais il faut encore déployer tout un dispositif de fabrication et d’installation pour que l’ensemble des compagnies aériennes du monde puissent avoir la possibilité matérielle d’avoir recours à des biocarburants à des prix abordables. Pour l’instant, leur rareté fait que les prix des biocarburants sont encore trop élevés. Donc l’objectif que nous avons avec les acteurs étatiques, les compagnies aériennes et les industriels, etc., c’est de faire pression pour que les biocarburants soient répandus le plus possible parce que ça, c’est une solution qui est tout de suite opérable, dès maintenant et qui permet de réduire considérablement les émissions de CO2 d’un avion.

Ce qu’il faut rappeler, c’est que les progrès technologiques et opérationnels ont permis au cours des trente dernières années, une division par 2 de la consommation de kérosène et donc des émissions de CO2 par passager au kilomètre. Et la dernière génération d’avions et de moteurs consomme entre 2 et 3 L aux 100 kilomètres par passager voire moins de 2 L sur certains types de vols. Pour l’ensemble des avions livrés, par exemple, en 2019, avant le Covid, Airbus avait calculé une empreinte de 66,6 grammes de CO2 par passager par kilomètre. Et donc, ces chiffres montrent les efforts de R&D accomplis. Mais bien évidemment, aujourd’hui, il est nécessaire d’aller beaucoup plus loin et développer un transport aérien décarboné. Mais il va falloir mettre en œuvre des ruptures technologiques majeures et avec des avions qui ne ressembleront probablement plus à ceux qui existent aujourd’hui, c’est-à-dire modifier l’aérostructure. Tout ça demande un travail extrêmement audacieux et technologiquement important et qui prend du temps parce qu’il ne faut pas oublier que la priorité de toutes les priorités pour qu’un avion vole avec des passagers, c’est la sécurité !

Le secteur aéronautique a subi de plein fouet la pandémie de Covid-19, vous le disiez. Industriels, manufacturier, exploitants, transporteurs… Quel a été le rôle du GIFAS pour accompagner ses adhérents dans la reprise de leurs activités tout en facilitant l’application des nouvelles réglementations et pratiques de sûreté et de sécurité ?

La crise du COVID a été un moment particulièrement difficile pour la filière aéronautique et spatiale française, pour l’ensemble des salariés d’abord, pour nos adhérents également dont l’activité s’est totalement arrêtée. Dans le cadre de sa politique de soutien aux différents secteurs en très grande difficulté pendant cette période de Covid, le gouvernement et le GIFAS ont coconstruit un plan de relance en lien avec Bercy. Toutes les directions du GIFAS ont été mises à contribution en lien avec les présidents du GIFAS. Les chapitres les plus importants de ce plan de relance ont été les subventions pour venir en aide à nos adhérents, mais aussi soutenir et accélérer l’innovation avec une nouvelle feuille de route pour le CORAC pour les dix ans qui viennent. Il y a eu quelques commandes militaires pour pérenniser l’activité des industriels. Il y a eu un fonds d’investissement qui a été créé pour venir en aide aux entreprises stratégiques en difficulté, et alimenté par le public et le privé.

Ce plan a été annoncé le 9 juin 2020. En amont, il a fallu faire face à l’urgence et donc faire remonter les informations du terrain. L’urgence était nos entreprises puissent reprendre un minimum d’activité en veillant à la sécurité des salariés.

Aujourd’hui, on peut dire que l’industrie aéronautique est sortie de la crise. 2021 a été une année de reprise pour le trafic aérien. En 2022, on a eu une reprise confirmée et depuis la fin 2022, on peut dire que l’industrie aéronautique est sortie de la crise. Ce qui fait quand même deux ans de véritable crise où on a dû licencier pour la première fois un certain nombre de personnels, tout en veillant à préserver les compétences parce que dans l’industrie aéronautique, si vous n’avez plus les compétences, vous ratez la marche technologique et très vite vous pouvez décrocher. Et il en a été de la survie de l’industrie aéronautique.

Il faut rappeler que dans le monde, seuls deux pays sont capables de construire tous types d’aéronefs de A à Z : ce sont les États-Unis et la France. Aucun autre pays n’a les compétences humaines ni les compétences technologiques. C’est une industrie qui fait la fierté de notre pays et qui permet à la France d’avoir un certain rayonnement dans le monde.

Vous comprenez donc que quand on est attaqué par des discours très simplistes, cela n’heurte d’ailleurs pas uniquement les présidents des sociétés, cela heurte, les 300 000 salariés que nous embauchons sur le territoire national. En plus, on est une industrie où 80% de la production se fait sur le territoire national. La conception, la production., tout se fait pratiquement sur le territoire national et 80% de nos salariés sont des Français ou Européens.

En prévision du Salon du Bourget 2023 qui se tiendra en juin prochain, quels sont les projets en cours au sein du GIFAS et les points d’intérêts qu’il sera nécessaire de défendre à l’occasion de cet évènement ?

Le Salon du Bourget prochain aura lieu du 19 au 25 juin 2023. C’est effectivement le GIFAS qui l’organise et il va durer une semaine.

L’édition 2023 de ce Salon est importante, car d’abord c’est la première édition depuis 4 ans ! L’édition 2021 a dû être annulée en raison de la crise sanitaire. Cette annulation a profondément attristé toute la profession, car cette annulation a été une première depuis 1945 !

Ce sera donc un événement majeur et populaire c’est un salon qui est très attendu et qui, je rappelle, est le plus grand salon international de l’aéronautique et de l’espace.

Il y aura plusieurs évènements : un événement majeur dédié à la décarbonation et à l’innovation du transport aérien.

Le deuxième point, c’est un focus tout particulier sur les recrutements parce que nous sommes face à un véritable défi sur ce point. Et nous appelons d’ailleurs tous les ingénieurs, techniciens, ouvriers qui souhaitent rejoindre l’industrie aéronautique à ne pas hésiter à s’engager dans l’industrie aéronautique, car nous avons absolument besoin de personnels dans les années à venir. À ce stade, nous allons organiser aussi un « Avion des métiers » et nous allons inviter les lycéens et les collégiens gratuitement sur le salon pour leur présenter les métiers de l’aéronautique. Et puis, d’autre part, tous ceux qui sont en recherche d’emploi auront la possibilité de déposer des CV pendant le Salon puisque nous lançons une opération « AéroRecrute » pour susciter des vocations dans le secteur de l’aéronautique.

Et puis, il y aura beaucoup de start-ups, de l’aéronautique, du spatial. Au GIFAS, nous venons de créer « le club StartAir » qui attire énormément de jeunes entrepreneurs en France. L’aéronautique suscite beaucoup d’attrait en termes d’innovation et le club StartAir permet la mise en relation au sein de la filière aéronautique et spatiale française. Un village StartAir sera bien présent tout au long du Salon.

Enfin et surtout, la défense sera aussi très présente, compte tenu du contexte géopolitique et du retour de la guerre en Europe, puisque notre secteur est dual avec une activité de défense particulièrement importante.