Alors que les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 viennent de s’achever, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Claire Rabès, Senior Protocol Manager au sein du Comité d’organisation des Jeux, pour évoquer l’organisation protocolaire de cet évènement.

Missions de coulisse par excellence, le travail institutionnel qui précède l’organisation des Jeux associe différents acteurs aux intérêts parfois divergents. Dès lors, comment se fabriquent au niveau national des Jeux à rayonnement international ? Levons le voile sur l’arrière-décor de ces JOP.

Vous avez réalisé une grande partie de votre carrière à la tête de Directions des Affaires publiques au sein d’organisations spécialisées dans le sport. À cet égard, pourriez-vous nous raconter votre arrivée au sein du Comité des Jeux olympiques et paralympiques ?

J’ai l’habitude des échéances. Je suis précédemment passée en cabinets ministériels. Ce sont forcément des fonctions de courtes durées, et donc il est vrai que j’ai une appétence pour des missions encadrées au niveau temporel avec un impact important une fois terminées. Après 5 ans entre l’Assemblée nationale et les cabinets ministériels, et notamment un passage au ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports puis au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères sur le commerce extérieur, je souhaitais continuer à exercer sur les questions publiques tout en évoluant dans le privé. Pourquoi ? Parce que j’en avais une totale méconnaissance. J’ai suivi un parcours académique institutionnel d’abord à Sciences Po puis au Collège d’Europe, donc des études qui normalement préparent aux concours des administrations ; mais je n’ai finalement pas fait ce choix. C’est la politique qui m’a entrainée assez vite. Et à la fin du quinquennat de François Hollande, j’ai voulu me tourner vers le privé. Le pas logique était pour moi de me tourner vers des instances telles que des fédérations ou confédérations. En tout cas, des corps intermédiaires permettant d’avoir cette représentation en Affaires publiques, où les rôles sont reconnus de longue date et assez structurés. Ce qui était moins logique, c’était de choisir le Sport, car justement, les Affaires publiques dans ce secteur étaient à l’époque encore embryonnaires. Elles se sont développées depuis sous l’impulsion des Jeux olympiques et paralympiques. Cela a permis de donner une impulsion aux politiques publiques du Sport et d’apporter une reconnaissance et une intégration du secteur privé dans cette fabrique de la politique publique. Au-delà, j’avais également besoin d’évoluer dans un secteur où les valeurs sont au cœur des enjeux du quotidien. Même s’il n’a pas de valeurs intrinsèques, le Sport est historiquement lié à l’éducation populaire, aux associations, à des pratiques partagées et humanistes. C’est un secteur de passionnés. Les personnes qui y exercent aiment le sport, le pratiquent et croient à son pouvoir sur la vie de chacun. C’est aussi un secteur qui est en lien direct avec les collectivités territoriales pour des questions d’aménagement public, puisqu’elles sont propriétaires à 85% des équipements sportifs. C’était donc pour moi un secteur avec lequel je me sentais en confiance pour découvrir le privé, dont on dit souvent qu’il est conduit par des objectifs purement économiques.

J’y ai passé 8 années, d’abord auprès de l’UNION Sport & Cycle qui est une fédération des entreprises du Sport. Le MEDEF du Sport, si l’on simplifie. Cette organisation référente venait de se créer puisqu’elle regroupait trois syndicats qui préexistaient avant et ne connaissaient pas les Affaires publiques : la FIFAS (Fédération française des industries sports et loisirs), la FPS (fédération professionnelle des entreprises du sport et des loisirs) et l’UNIVELO (chambre syndicale des acteurs du cycle). Il y avait initialement une Direction générale qui faisait un peu tout, mais sans stratégie en Affaires publiques établie dans le temps. Cela a été mon travail, ce qui était passionnant. Et surtout, cela a perduré depuis, sous la forme d’une direction des Affaires publiques et relations institutionnelles. J’ai ensuite rejoint France Sport Expertise pour accompagner les entreprises du secteur du Sport dans leurs relations institutionnelles et commerciales à l’international. L’objectif était de construire une stratégie d’approche collective des marchés extérieurs et faciliter les groupements d’entreprises, qui sont à 90% des TPME/PME, la filière du sport étant représentative de nombreux secteurs économiques français. Ici, les Affaires publiques étaient très englobantes. Il y avait de la communication, de la stratégie, de l’animation de réseau… c’était un métier d’influence très complet même pour une petite structure.

Initialement, je ne devais pas me diriger vers une fonction au sein du Comité des Jeux olympiques et paralympiques. Mais le diplomate Samuel Ducroquet qui était responsable du programme des dignitaires venait d’être nommé Ambassadeur pour le Sport. Il me fut proposé de le remplacer en étant rattaché à la Direction des Relations internationales du Comité. J’avais eu l’occasion de rencontrer la directrice Sophie Lorant lors de missions de coordination entre Paris 2024, France Sport Expertise, le ministère des Sports et le ministère du Commerce extérieur en Côte d’Ivoire. J’ai ainsi rejoint Paris 2024 en avril 2023.

Alors, pour quoi faire ? Tout comme la communication institutionnelle, le protocole fait partie intégrante des Affaires publiques. Il ne doit pas se voir pour que l’évènement se déroule dans de bonnes conditions. Cela a une forte connotation opérationnelle, avec un volet diplomatique et de relations internationales très fort. Le poste avait plusieurs dimensions et la fiche de poste était divisée en deux parties. D’abord, le programme des dignitaires internationaux, c’est-à-dire selon le protocole olympique et paralympique, les chefs d’États et de gouvernement d’une part, et les ministres des Sports ou des Affaires sociales étrangers (pour les Jeux paralympiques) d’autre part. Ensuite, le programme des dignitaires nationaux, qui s’étend du Président de la République au maire de Châteauroux. Donc des missions très englobantes. Il existait toutefois un déséquilibre important en faveur des missions internationales. Ce travail impliquait dès lors une forte coordination avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et le ministère de l’Intérieur, car pour l’évènement, ce sont près d’une centaine de chefs d’États et de gouvernements qui sont attendues. Nous avons d’ailleurs battu le record des Jeux de Londres avec 90 représentants officiels présents à Paris. Hormis l’Assemblée générale des Nations unies, seuls les JOP permettent de réunir autant de représentants au même endroit. La dimension protocolaire était donc particulièrement centrale dans l’organisation de ces Jeux.

Ce grand rendez-vous a permis d’accueillir 206 délégations olympiques et 182 délégations paralympiques pour participer aux épreuves des Jeux. Dans le cadre de vos missions, vous avez entretenu un dialogue avec différents interlocuteurs internationaux tels que les fédérations sportives, les représentations politiques des pays invités, les ministères des Sports de chaque délégation… Comment votre direction était-elle organisée pour être à la manœuvre du protocole de ces JOP (nombre de collaborateurs, leurs missions…) ? Comment organise-t-on l’accès aux lieux sportifs, les accréditations, le respect des chartes olympique et paralympique… et ce malgré la contrainte sécuritaire inhérente à un évènement de cette ampleur ?

L’équipe du protocole était constituée de 160 personnes, au sein de la Direction des Relations internationales. Pour vous situer, il y avait le département« Games family services » qui était responsable des services à la famille olympique et paralympique, donc de l’hébergement, des transports pour ces « clients » ; le département « Traduction » responsable de l’interprétation ; le département « Coopération internationale » qui n’avait plus de raison opérationnelle d’être pendant les Jeux, mais avait été actif les années précédentes, notamment pour établir une relation d’héritage avec les Jeux olympiques de la jeunesse d’été Dakar 2026 ou les Jeux olympiques d’hiver de Milano Cortina 2026 ; le département des « National committee services » pour entretenir un dialogue avec les comités nationaux olympiques et paralympiques qui était notamment en charge de coordonner, au nom du CIO, les invitations aux chefs d’États et de gouvernements pour les Jeux – ce que l’Élysée ou d’autres ministères pouvaient avoir du mal à comprendre, car cela ne correspond pas à nos pratiques protocolaires habituelles. Enfin, le département du « Protocole » était le plus gros sous la responsabilité de Rafaella Fresco qui officie depuis près de 20 ans au sein des différents Comités olympiques et paralympiques responsable du protocole. Le département était engagé sur différentes missions. Il y avait par exemple les « Venues protocol managers » c’est-à-dire le protocole mis en place sur les sites de compétition. C’était là le plus gros contingent RH que nous avions. Il y avait également les équipes du protocole liées aux drapeaux et aux hymnes. Cela représentait une dizaine de personnes. Puis le protocole de cérémonie. Elles étaient deux à réaliser ce travail essentiel pour le bon déroulé des évènements. Enfin, le « programme des dignitaires nationaux et internationaux » où mon équipe comptait une trentaine de personnes.

Il s’agit avant tout d’un milieu très codifié. Il y a un cadre très spécifique à respecter, notamment pour les accréditations. Si nous faisons un retour en arrière, on pourra rapidement comprendre pourquoi ces Jeux ont suscité un attrait très important, au-delà du fait qu’il s’agisse de la ville de Paris. Les Jeux de Tokyo 2020 qui se sont déroulés en 2021 ne peuvent recevoir de public en raison de la pandémie de Covid-19. En 2016, à Rio, trois jours avant le début des Jeux, une procédure d’impeachment est lancée à l’encontre de Rousseff, et très peu de dignitaires feront le déplacement pour la cérémonie d’ouverture pour différentes raisons politiques. Paris arrive donc après ces évènements. Ces Jeux ont donc connu un engouement particulièrement fort auprès des dignitaires, mais également du grand public.

Une autre tension venait des accréditations. Celles-ci se préparent très en amont. Les comités nationaux olympiques et paralympiques sont censés avoir la réponse de leurs dignitaires en fin mai pour un évènement qui débute mi-juillet. Mais 2024 a été marqué par un record d’élections gouvernementales à travers le monde, ce qui rendait d’autant plus difficile cette procédure d’accréditation. On devait dès lors demander de multiples exceptions pour des accréditations tardives. Cela a impliqué d’entretenir un dialogue régulier avec les ambassades, car ces accréditations ne ressemblaient en rien à leurs habitudes. On a ainsi réuni 130 ambassades dans une même matinée lors de cinq briefings diplomatiques, le premier s’étant tenu au centre de Convention dans les locaux du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères en avril 2023 et le dernier dans les quartiers généraux de Paris 2024 à Pulse en août 2024 dans la période de transition entre les Jeux olympiques et paralympiques. Ces briefings diplomatiques avaient pour but d’expliquer le processus et le protocole spécifique des JOP aux ambassades, avec la participation du ministère de l’Intérieur, car les questions sécuritaires étaient au cœur de la logistique de cet évènement. Pour les JOP, nous passions au niveau Vigipirate le plus élevé. Cela a donc un impact sur nos relations avec nos partenaires diplomatiques. Pour le suivi de ces questions, nous avons mis en place un groupe de travail « protocole » qui regroupait notamment le ministère de l’Intérieur et le ministère des Affaires étrangères au sein de Paris 2024. Il y avait également d’autres acteurs de l’État : la Délégation interministérielle aux Jeux olympiques et paralympiques (DIJOP), le ministère des Sports, Aéroports de Paris, et bien d’autres.

Un autre point intéressant est que, habituellement, les ministères des Affaires étrangères qui se déplacent en France font l’objet d’un accompagnement particulier, mais dans le cadre du protocole des JOP, ils n’ont aucun rôle de reconnu comme tel par le CIO ou l’IPC (comité international paralympique). C’est le ministre des Sports qui a ce rôle pendant la période des Jeux. Ce qui peut paraître incongru. Un ministre des Affaires étrangères s’il souhaite être accrédité, ne peut l’être sur le quota des dignitaires. D’ailleurs, il fallait aussi conjuguer avec les pratiques de différents pays. Une princesse quand bien même elle ferait partie de la famille du souverain, pouvait ne pas avoir le rang de dignitaire aux yeux du CIO si elle n’était pas héritière directe du trône. C’est le cas de la Princesse Anne, qui est d’ailleurs membre du CIO et très impliquée dans le sport, mais n’a pas le rang de dignitaire en tant que tel.

Sur l’accès au site, la population que je gérais était protégée. C’est-à-dire que le ministère de l’Intérieur décide de mettre un ou plusieurs officiers de sécurité auprès de ces dignitaires. Cela signifie qu’ils doivent rentrer par une entrée spécifique qui n’est pas celle du grand public, c’est une entrée dans un périmètre sécurisé lié à des accréditations de personnes et de véhicules. Cela implique de connaitre le nombre et le modèle des véhicules, d’être en lien avec les agents de liaison du ministère des Affaires étrangères et les officiers de sécurité détachés pour le suivi des délégations. Les moyens de l’État mis à disposition sont extrêmement forts. Les équipes étaient d’ailleurs intégrées dans nos quartiers généraux de Paris 2024 à Saint-Denis, au sein du Centre de Coordination du Protocole dédié au seul programme des dignitaires.

Derrière le défilé des athlètes qui débute lors de la cérémonie d’ouverture, c’est une organisation de plusieurs mois qui s’achèvent avec un dialogue continu entre les organismes sportifs parmi lesquels le Comité international olympique (CIO), le Comité d’organisation des Jeux olympiques 2024 (COJOP), et les différents acteurs nationaux et territoriaux que sont l’État français et les collectivités[1]. Que se passe-t-il en coulisse pour assurer le bon déroulé et la bonne gestion des cérémonies d’ouvertures et de fermetures de ces JOP ?

Nous avions un directeur général délégué aux Affaires institutionnelles qui faisait la plus grande partie des relations institutionnelles avec les acteurs français tels que le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), le Comité paralympique et sportif français (CPSF), les fédérations sportives qui en découlent, les collectivités territoriales… il y avait également un département responsable des relations avec les collectivités territoriales.

Mais de manière générale, les relations entre institutions françaises étaient nouées de très longue date. Elles remontent en réalité à la candidature de Paris 2024. Le Comité d’organisation des Jeux olympiques 2024 (COJOP) et la mairie de Paris ont des relations de proximité de plus de 8 années. Il y avait bien évidemment différents enjeux politiques : le fait que Paris soit choisie avant Los Angeles ; le fait que chaque organisme s’approprie cet évènement comme un outil politique… Car le Sport dispose d’une grande dimension d’influence.

Bien évidemment, tout le monde cherche à tirer son épingle du jeu. Quand le Département de Seine-Saint-Denis indique que ces Jeux ne sont pas seulement ceux de Paris 2024, mais aussi les Jeux de Seine-Saint-Denis, on comprend les intérêts sous-jacents, surtout lorsque le COJOP porte un discours qui était de dire qu’il s’agissait des Jeux de toute la France, car il y avait des compétitions à Nantes, Bordeaux, Châteauroux, Lille, Marseille, Tahiti… Le storytelling est un enjeu de ce qui régit les Affaires publiques et les Jeux n’ont bien sûr pas fait exception.

Au-delà, il faut aussi bien comprendre que chaque ministère n’a pas forcément les mêmes échéances. Des réunions très en amont de l’évènement peuvent paraître un peu saugrenues en comparaison à leurs priorités du moment, mais ô combien essentielles pour son bon déroulement. Car, in fine, tout le monde a intérêt à ce que cela se déroule bien. Et je crois que ces Jeux ont été une belle réussite avec un engouement populaire des Français incroyables !

 

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