Parce qu’il est souvent associé à la communication institutionnelle, le travail de plume n’est que très peu évoqué lorsque l’on en vient à traiter des missions du professionnel des Affaires publiques. Son rôle est pourtant au cœur de l’activité de plaidoyer puisqu’il rend intelligible la conduite des politiques d’une organisation et fait dialoguer l’ensemble de ses parties prenantes.

Rédaction du discours, des éléments de langage, des tribunes d’opinion, des éditoriaux… sont autant de pratiques réalisées par le conseiller en coulisse, au service des instances dirigeantes pour lesquelles il travaille et de leurs décisions. Antoine Momot, membre fondateur de l’association La Guilde des Plumes, nous éclaire sur ses fonctions au cœur du processus de gouvernance d’une organisation.

Antoine, pourriez-vous nous présenter le métier de plume ?

La plume est de façon générale la fonction de celui ou celle qui écrit les interventions d’un dirigeant ou d’une communauté dirigeante de type comité exécutif. Le cœur même du métier est d’écrire pour un(e) autre. La plume doit abandonner ses opinions, ses préjugés, et sa façon de penser pour se couler dans ce que dira le dirigeant ou la dirigeante. Tout l’exercice, tout le charme intellectuel réside en cela, c’est-à-dire dans cette torsion de la pensée pour adopter les mots et les expressions du dirigeant.

C’est l’essence même du métier, qu’il s’agisse de discours parlé, de communiqués, d’éditos ou de toutes autres productions qui sont à la fois internes – quand elles s’adressent à l’entreprise ou à l’organisation – ou externes, quand le dirigeant est amené à prendre la parole en public dans un forum, dans un salon…

Certains diront qu’il s’agit d’un métier qui connait une forme de secret : en France en tout cas, les plumes, qu’on appelle en anglais les speechwriters, ne sont que très peu connues. Certaines personnalités émergent toutefois lorsqu’elles ont par exemple été proches d’un chef de l’État et qu’elles y ont consacré des témoignages ou des mémoires de leurs expériences personnelles. Le cas qui vient le plus souvent : Erik Orsenna, avec Grand amour.

À l’inverse, dans les pays anglo-saxons, c’est un métier plus visible et plus identifié. Les plumes d’anciens présidents sont très libres de communiquer sur ces fonctions qu’elles ont occupées. Elles sont identifiées comme telles, ont des compétences recherchées par des entreprises, des cabinets, voire même des scénaristes. Par exemple, c’est le cas de Jon Favreau qui a été la plume de Barack Obama, travaillant avant de devenir scénariste pour la télévision à la suite de son expérience à la Maison-Blanche.

Comment devient-on plume et quelles sont les qualités, les compétences pour être recruté dans cette fonction ?

La question que l’on me pose souvent est de savoir « quelle formation mène au métier de plume ? ». Il peut y en avoir quelques-unes très rares dans les pays anglo-saxons, mais à ma connaissance, il n’en existe pas en France. On pense au « normalien sachant écrire », comme disait le général de Gaulle. Mais cette voie n’est pas la seule. Il y a des personnes issues de Sciences Po qui exercent dans ce métier et qui disposent d’une très bonne compréhension des fonctionnements institutionnels. Associées à ma formation de Khâgneux, mes années à Sciences Po me permettent de percevoir les enjeux politiques et administratifs et de gouvernance peut-être plus rapidement. Il y a également des personnalités issues de l’Université. D’autres issues d’HEC par exemple, et qui seront plus sensibles aux enjeux business liés aux entreprises.

Il n’y a pas de formation pleine et suffisante pour devenir plume mais un ensemble de prérequis, me semble-t-il.  La qualité centrale est de savoir écrire. Elle doit être associée à une bonne culture générale. C’est un des rares métiers en France qui valorise cette culture littéraire et historique, mobilisable comme un outil du quotidien. Il y a aussi la question de l’esprit de synthèse, puisque la plume est souvent au cœur d’une masse d’informations très importante à digérer et dans des temps limités.

Et puis il y a ce que l’on nomme les compétences relationnelles. Comme la plume est au cœur et au croisement d’un ensemble de directions et d’acteurs très divers et variés, une réelle rondeur, une bonne diplomatie peut permettre d’accéder plus rapidement, plus facilement aux informations et de créer une communauté de partage d’information plus efficace et plus rapide.

Pour ma part, j’ai commencé à me former au métier avec ma première expérience professionnelle en accompagnant le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel, entre 2009 et 2010. Il s’agit d’une formation qui peut rappeler les « commandos-marine »… et dans laquelle on travaille en flux tendu ! Un passage très formateur et très exigeant qui m’a fait percevoir que le porte-parolat était un hub qui recevait toutes les informations venues des différents cabinets ministériels et qui les délivrait par la suite auprès de l’ensemble des canaux d’informations, que ce soit dans les médias, auprès des pouvoirs publics, etc. Cette idée de croisement et de lieu de rencontre dans les informations est importante dans le métier de plume.

Qu’est-ce que cela implique en matière de travail de fond ? Au-delà l’écriture et le style, cela nécessite sans doute un travail de recherche sectoriel ?

C’est ce que j’aime bien aussi dans ce métier, c’est qu’il amène à découvrir des mondes nouveaux. Pour la conseillère ou le conseiller « discours », le défi consiste à s’approprier rapidement des dossiers complexes et très différents les uns des autres. Cette situation se produit soit lorsqu’on est en poste au sein d’une organisation soit lorsqu’on évolue dans sa carrière sur des sujets divers. Ce fut par exemple mon cas à l’INRAe (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement), puis en fédération professionnelle ou encore lorsque je suis arrivé à la RATP. Ce métier demande une grande curiosité et de savoir apprivoiser les sujets très rapidement, mais aussi de mettre en place de bons réflexes. Dans mon poste actuel, ma prédécesseure m’avait bien expliqué comment trouver l’information utile, auprès de quels interlocuteurs se renseigner. Quelques documents ressources doivent également nous aiguiller, comme par exemple les rapports annuels.

C’est ce qui fait le charme du métier et son exigence pour synthétiser et s’approprier très rapidement de nouvelles informations en frappant aux bonnes portes, en identifiant les bons interlocuteurs, en échangeant avec eux de manière itérative pour simplifier au maximum le propos et le rendre intelligible pour le grand public.

Pourquoi est-il central dans la stratégie de communication du dirigeant de l’organisation ?

J’observe que la parole du dirigeant est de plus en plus identifiée comme étant la parole de l’organisation. Les dirigeants sont de plus en plus visibles. Ils sont de plus en plus attendus. Et un mot de trop, un mot de travers peut avoir des conséquences graves pour un ministre, une organisation, une entreprise…

Leur parole est attendue aussi dans un contexte de crises multiples. Les grandes entreprises, les ministères, les administrations, les ONG, les associations sont frappés par des crises de manière égale. Je pense que la Covid en était l’illustration parfaite. Elle n’a épargné aucun secteur d’activité. C’est dans ce cas le dirigeant qui est en première ligne que ce soit médiatiquement ou auprès des pouvoirs publics. D’où le poids de plus en plus grand que vont prendre les plumes dans les années à venir.

C’est pourquoi il est important de faire connaître et reconnaître ce métier. C’est sur ce constat par ailleurs que l’association de la Guilde des plumes est née en 2019 sur un modèle en partie emprunté aux regroupements de professionnels anglo-saxons, à savoir la UK Speechwriters’ Guild et le European Speechwriter Networks. Aujourd’hui, ce sont 80 membres issus aussi bien du milieu des collectivités territoriales, de l’entreprise ou exerçant en tant qu’indépendants, qui échangent des bonnes pratiques sur leur métier.