Pas un professionnel des affaires publiques qu’il soit représentant d’intérêts, collaborateur ou élu, un tant soit peu actif sur les réseaux, n’a pu passer à côté : l’amendement, cette bête noire de tout nouveau professionnel du secteur, a été décrypté !

154 pages lui sont dédiées.  Son utilité, sa forme, son inscription, sa recevabilité … tout y est traité. Pourquoi ? Parce que jamais personne ne l’avait fait et qu’il reste à travers les âges et les législatures, le sacro-saint du pouvoir légistique.

Mélody Mock-Gruet et Hortense de Padirac, toutes deux anciennes collaboratrices parlementaires – et respectivement docteure en Droit public et titulaire du CAPA pour l’une et docteure en Science politique et enseignante chercheuse à Sciences Po Paris pour l’autre – n’ont pas fait exception à la règle et se sont retrouvées, au début de leurs carrières, plongées dans le grand bain du Parlement à devoir « déposer des amendements » sans rien connaître aux règles, ni de formes ni de procédures.

Après dix années à l’Assemblée, elles contribuent à rendre plus compréhensible ce Graal légistique, que tout parlementaire se doit de parfaitement appréhender et auxquels les représentants d’intérêts tentent indirectement d’accéder.

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Échange matinal entre Mélody Mock-Gruet (co-autrice du Petit guide de l’amendement) et Roxane Fournier (DGA de Mavence France), le 15/12/22.

Doctorat et CAPA en poche et forte de plusieurs expériences ministérielles, Mélody rejoint l’Assemblée nationale en 2012. Les premières journées résument bien le pourquoi du livre : « La première semaine, j’ai dû violer 3 fois la pyramide des normes ».

1. Contexte :

Le premier quinquennat du Président Macron et les élections législatives qui s’en sont suivies ont fait place à un grand nombre de nouveaux députés issus de la société civile et dépourvus d’expérience en matière de fonctionnement institutionnel.

Les dernières élections législatives, quant à elle, ne permettent pas au Gouvernement de compter sur une majorité absolue.

Roxane :  Dans ce contexte, ce livre souhaite-t-il apporter une aide à nos nouveaux parlementaires et collaborateurs ? On voit quelques « tips« , par ex., en utilisant l’art 41 pour contourner l’art 40.

Mélody : Pendant dix ans, j’ai eu l’occasion de déposer des milliers d’amendements (elle en déposera environ 8000 entre 2012 et 2022).  À mon arrivée, je me suis confrontée à l’écriture d’amendements du PLF sans jamais en avoir écrit, et sans savoir vers qui me tourner… Avec les années, au vu de mon expérience, j’ai été sollicitée pour apporter de l’une aide aux nouveaux entrants. Comment écrire un amendement, comment rédiger le dispositif, anticiper les délais de dépôt, respecter la pyramide des normes, le gager… il existe des guides à l’Assemblée nationale et au Sénat, mais avec Hortense (co-auteure), on trouvait qu’ils manquaient cruellement de conseils pratiques et factuels :  comment faire pour avoir le plus de cosignataires, comment contourner l’article 40 ou encore sur la volonté d’un député qui souhaite un « amendement d’appel ».

Autant de subtilités qu’il est essentiel pour tout professionnel de connaître ! 

Au-delà des règles existantes, force est de constater que les interprétations de ces règles changent, que la pratique est mouvante. Il est de ce fait d’autant plus crucial de bien connaître le fonctionnement pour reconnaitre et naviguer entre ces éventuelles évolutions. L’exemple type est le « Cavalier législatif ». Quand j’ai commencé en 2012, rares étaient les amendements irrecevables sur ce fondement de l’article 45 de la Constitution, alors qu’aujourd’hui c’est devenu monnaie courante, c’est d’ailleurs l’une des principales craintes des collaborateurs (ex : p. 79).

2. À destination de quels publics ?

Roxane : On note de nombreuses explications ou aides techniques, notamment sur l’existence de « la feuille verte » sur l’utilisation « d’ELOI » (Plateforme d’enregistrement et de suivi des textes dédiée à l’Assemblée nationale, le Sénat utilise quant à lui « AMELI » – rien à voir avec la sécu…) ou encore sur la nécessité d’enregistrer des amendements dans les temps et les bugs informatiques à anticiper… C’est donc évidemment très orienté « AN » comme précisé dans le prologue néanmoins, la quatrième de couverture fait mention d’un guide à destination de tous, également lobbyistes et journalistes. Y a-t-il un souhait de proposer des clés de lecture et de compréhension plus largement à tout un chacun, pour tendre vers une interprétation plus canadienne de la représentation d’intérêt (ex : p. 49) ? Redonner un pouvoir direct aux citoyens ? Quand bien même ils n’ont pas de possibilité d’amender, cela peut les aider à soutenir ou être attentifs aux travaux de leur député…

Mélody : Il est vrai que la destination première était les nouveaux collaborateurs et députés. Mais depuis que le livre est sorti, nous remarquons que ce sont les acteurs d’affaires institutionnelles et les étudiants en affaires publiques qui sont en réalité beaucoup plus intéressés par cet ouvrage. On nous a même dit qu’il permettait de mieux appréhender « la boîte noire » qu’était la fabrique de la loi…Et à notre grande surprise, on nous a même tagués à plusieurs reprises sur les réseaux comme le cadeau de Noël des lobbyistes…).

Si ce livre peut aider à démocratiser la connaissance du travail législatif, ce serait notre plus grande réussite. On note depuis 2012 une réelle évolution de la place du citoyen et de son intérêt pour les projets et propositions de loi. À partir de la fin de la 14e législature, on a vu apparaître des pétitions de citoyens qui se regroupent et s’organisent pour faire entendre leurs avis. Ils le font de manière de plus en plus professionnelle. Cela est devenu une habitude sous la 15e législature. Même si le citoyen n’a pas la capacité d’amender, puisque cette prérogative constitutionnelle est celle du Parlement et du Gouvernement, on sent qu’il souhaite de plus en plus participer au débat public.

Roxane : Votre livre évoque également un juste équilibre à maintenir entre le fait de restreindre le pouvoir d’amendement des parlementaires rapidement taxés d’obstructionnisme et le fait de préserver la séparation des pouvoirs et d’avoir un réel contrôle de l’action du Gouvernement permettant ainsi l’existence d’un débat public.

Ce guide a-t-il également vocation à rappeler l’importance de cet équilibre et à encourager un meilleur partage de la parole dans le débat public ?

Plus largement, cet équilibre se voit-il bouleversé lors d’un changement de majorité ?

Mélody : Sans le vouloir, nous (avec Hortense de Padirac) avons le prisme de l’opposition, pour y avoir travaillé pendant dix ans, et ce, dans le cadre d’une majorité absolue. J’ai travaillé dans des ministères avant 2012, mais là encore, la culture gouvernementale a une acception du droit d’amendement, tout autre que celle du Parlement… Ce qui est certain c’est que la donne change complètement avec une majorité relative. Les élections législatives de juin 2022 ont abouti à une situation presque inédite sous la Cinquième République (en 1988, le parti socialiste, avec 275 députés ou apparentés, peut gouverner avec les soutiens ponctuels du groupe communiste, de l’UDC et des non-inscrits. Mais il n’y avait pas encore la réforme constitutionnelle de 2008…). Aujourd’hui, le Président de la République ne dispose de la majorité absolue dans aucune des assemblées parlementaires : le parti majoritaire n’a qu’une majorité relative à l’Assemblée nationale ; quant au Sénat, il est dominé par le centre et la droite.

Nous retrouvons un équilibre des pouvoirs très différent. Le Gouvernement est obligé de modifier en profondeur sa stratégie parlementaire. L’Assemblée nationale ne peut plus être considérée comme une simple chambre d’enregistrement. Même si l’utilisation de l’article 49 al. 3 sur le PLF (Projet de Loi de Finances) et le PLFSS (Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale) du début de mandat pourrait faire pencher en ce sens, la pratique gouvernementale et parlementaire se trouve fondamentalement changée et le Gouvernement se doit de négocier (exemple p. 129 ou p. 134).

On interprète donc différemment la Constitution et les règlements des deux assemblées.  Aujourd’hui un amendement d’un député de l’opposition est bien plus qu’un simple affichage politique ou une éventuelle volonté de ralentir les débats ; s’il est bien ficelé, il peut passer ! D’où l’importance de savoir comment les rédiger ! Et peut-être privilégier la qualité à la quantité…

Le débat public est de fait différent. Dans la conclusion de notre livre, nous citons Guy Carcassonne, « ce qui manque au Parlement, ce ne sont pas des pouvoirs, mais plutôt des parlementaires pour les exercer ». Aujourd’hui, sa remarque prend tout son sens. Indéniablement, cette législature ouvre de nouvelles perspectives en matière d’amendements.

Roxane :  Cet ouvrage, via les techniques très concrètes évoquées, aide d’une certaine manière les collaborateurs et députés à se concentrer sur le fond pour ne plus perdre de temps sur la forme ?

Mélody : Les deux ! Il est important de pouvoir éclairer une décision politique à la fois sur le fond, par exemple sur ses impacts juridiques, politiques, sociaux … Cela met en exergue la volonté politique que l’on retrouve d’ailleurs dans « l’exposé des motifs » que comprend un amendement.

Mais il est également nécessaire d’avoir une expertise sur le dispositif donc sur la forme : certains amendements sont simples à écrire, mais d’autres s’ils sont mal ficelés ou mal rédigés, peuvent en réalité être contre-productifs.

Donc un bon amendement doit prendre en compte le fond et la forme.

Roxane : Sans que cela ne soit l’objectif premier, vous participez à une sorte de « démocratisation » du lobbying, pratique qui, malgré la loi dite Sapin II, souffre encore d’une certaine défiance publique ?

Mélody : Le lobby n’est pas dans la culture française comme dans d’autres pays.

A ses origines, l’expression viendrait de la bouche du dix-huitième président des États-Unis, le Général Grant (1869-1877) lequel, après l’incendie qui aurait détruit la première Maison-Blanche, logeait dans un hôtel et se lamentait de la présence de nombreuses personnes qui l’attendaient dans le hall – le lobby – pour jouer de leur influence. Ainsi le lobbyiste est un homme/femme de réseau, d’influence sur les politiques publiques, qui œuvre pour des intérêts particuliers.

En France, le lobby est mal vu, car la loi représente la volonté générale par le biais du parlementaire, selon la tradition rousseauiste. Cette conception s’est manifestée dès la Révolution par le décret d’Allarde et la loi Le Chapelier de 1791 : le premier abolit les corporations et la seconde interdit les coalitions de patrons ou de travailleurs. Les deux témoignent d’un même souci d’interdire tout corps intermédiaire entre le citoyen et l’État, incompatible avec l’idéal démocratique républicain. Il faut attendre 1884 pour que la création de syndicats soit autorisée et 1901 pour les associations. Néanmoins, le lobbying existe. Différentes lois, dont la loi Sapin II, ont tenté de mettre plus de transparence dans les pratiques. Beaucoup de règles contraignantes ont vu le jour, ce qui permet de renforcer l’indépendance des députés et de les préserver des conflits d’intérêts. D’autres principes comme le « sourcing » (inscrire le nom du représentant d’intérêts qui est à l’origine de l’amendement) ne sont pas encore vraiment appliqués. Certains poussent à cette pratique, alors que d’autres considèrent que cela ne ferait que contribuer à la suspicion vis-à-vis des décideurs politiques. À titre personnel et pour en avoir reçu bon nombre lorsque je travaillais à l’Assemblée nationale, je considère les lobbys comme des experts, pouvant éclairer la décision publique sur différents enjeux. C’est d’ailleurs de cette manière que la loi Sapin II définit les « Représentants d’intérêts ». Rencontrer les différents acteurs d’un secteur (entreprises, fédérations, mais également ONG, associations, syndicats, etc.) est nécessaire pour l’écriture d’un bon amendement. En revanche, il faut éviter tout conflit d’intérêts. Le parlementaire reste et doit toujours rester libre et maître de ses décisions politiques.

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Vous l’aurez compris, que vous soyez étudiant, représentant d’intérêts, collaborateur, parlementaire ou citoyen intéressé – nul n’est censé ignoré la loi – et chacun peut d’une certaine manière, y contribuer !

Pour se procurer le livre : https://bit.ly/3FxIoFD