Le 27 octobre prochain, les associations représentant les professionnels des Affaires publiques (AFCL, APAP Jeunes lobbyistes) organiseront une conférence pour discuter de la mise en place de la Loi Sapin II et de ses perspectives d’amélioration. À cette occasion, nous avons demandé à Laurent Mazille, Président de l’APAP (Association des professionnels des affaires publiques) et Directeur des Affaires publiques de Transdev, de revenir sur la perception de nos métiers et les normes de déontologie et d’éthique applicables à ce secteur d’activité.
Comment améliorer l’image des « représentants d’intérêt » ou « professionnels des Affaires publiques », aujourd’hui enfermés dans des représentations parfois caricaturales du métier ?
Je dirais que le métier dit « de lobbyiste » dérive d’une expression qui, dans le langage populaire et journalistique français, est plutôt connotée négativement.
Malheureusement, en France, les caricatures perdurent. Lorsque vous êtes en responsabilité dans une entreprise ou dans un cabinet de conseil, cette fonction, cet intitulé n’apparaît pas sur votre carte de visite ni dans votre signature électronique. Ce sont les « affaires publiques » et « relations institutionnelles » qui y figurent puisque finalement, c’est votre spécialisation professionnelle qui est mise en avant et qui est à l’origine de votre recrutement, de votre expertise et qui rend légitime votre fonction au sein de l’entreprise.
Alors, comment améliorer l’image des affaires publiques et de ceux qui exercent ce métier ? Ma première réponse, c’est évidemment de dire qu’il faut être conforme à la loi Sapin 2. La législation a beaucoup évolué depuis une dizaine d’années et encadre fortement notre profession et la manière dont on l’exerce. Tous les professionnels des affaires publiques doivent être inscrits au registre de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP) et respecter dans l’exercice quotidien de leurs missions, l’ensemble des règles déontologiques qui sont rappelées par le législateur.
Bien souvent, ces règles ont été introduites dans les chartes des entreprises et donc elles s’imposent à nous. Derrière notre activité, ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement l’influence de l’entreprise, mais bien la réputation de celle-ci. Bien sûr, nous sommes des influenceurs et c’est la raison pour laquelle on se déploie auprès des pouvoirs publics, mais cela se fait en respectant une éthique du métier.
Bien utilisée, la transparence peut être un levier d’influence. Cela contribue à l’amélioration de notre image auprès du grand public. Il nous faut démontrer en quoi notre activité contribue d’une part à la vitalité du débat public en y intégrant nos expertises, et d’autre part, à rétablir une forme de confiance entre le décideur public et le citoyen français qui s’interroge sur la valeur de la décision publique, comment elle peut avoir un impact positif, sur sa vie de tous les jours ? Comment est-ce que dans ce travail collectif, le rôle de l’entreprise est positif pour l’économie et pour la société.
Lorsque je fais du lobbying en faveur du transport public et de la concurrence ferroviaire, en faveur de certaines énergies dites bas carbone, nous avons la conviction que cette contribution a un impact positif pour toute la société puisqu’elle concourt à l’atteinte des objectifs européens en matière de décarbonation d’ici à 2030.
Pour résumer, il y a donc deux leviers d’action : « la compliance », c’est le respect de la loi et du nouveau cadre qui régule notre activité pour plus de transparence et plus d’éthique ; et notre contribution au débat public et à la fabrique de la loi.
Pourquoi est-il important de se doter d’un cadre juridique pour cette profession ?
Nous sommes une des professions qui a un encadrement le plus récent. Donc, c’est en construisant avec le législateur, le gouvernement et les collectivités locales, cette régulation que l’on va accroître notre reconnaissance.
C’est d’ailleurs tout l’objet de cette conférence du 27 octobre qui sera consacrée au bilan de la loi Sapin 2 et à ses perspectives, autour de professionnels de différents horizons. Comment a-t-elle amélioré l’encadrement de ces relations qui, parfois, peuvent susciter des commentaires négatifs ou des interrogations de la part des journalistes ou du grand public ? Ce sera aussi l’occasion d’en tirer les premières leçons et de voir si certains points doivent être améliorés avec à l’esprit cette volonté d’éthique et transparence, mais toujours au bon niveau de granularité et d’équilibre entre ce qui est vraiment utile, sans que l’on tombe dans un système kafkaïen qui va aller finalement à l’encontre même des objectifs attendus et qui sera peut-être même contre-productif.
C’est comme la transparence concernant la vie publique et les élus, cette transparence ne doit pas tomber dans le voyeurisme. Il en va de la même manière au niveau des affaires publiques. La transparence, c’est aussi une question d’équilibre qui doit être trouvé avec le législateur.
Certes, l’image du lobbying suscite parfois des critiques, mais on sent toujours que derrière, il y a ce fil conducteur qui est très français et donc culturel, de méfiance vis-à-vis de la sphère économique et de la manière dont elle peut contribuer au débat démocratique. Dès lors que nous sommes dans une forme de postures idéologiques, il est difficile de faire changer ces personnes de regard sur notre profession. Le regard sur les ONG est plus bienveillant et pourtant certaines mènent des campagnes de lobbying très offensives sans aucune transparence.
Je pense aussi que le fait que l’on dénie aux représentants des entreprises, le droit d’être un acteur de ce jeu démocratique, de la décision publique, cela vient historiquement de la fondation de l’État centralisé en France. C’est-à-dire de cette volonté de mettre de côté les corps intermédiaires, les corporations professionnelles, et de créer cet État centralisé à Paris, cette administration forte avec des écoles qui forment l’élite. Cette organisation politico-administrative se retrouve, dès les années 80, non pertinente et non adaptée à la mondialisation, à l’Europe qui se construit. Les entreprises ont montré en revanche leurs capacités à s’adapter, à innover et à être forces de propositions pour relever certains défis que le pays doit saisir en opportunités (transition écologique, énergétique, numérique…).
Comment mettre ces règles au cœur de la formation des futurs praticiens et des processus de recrutement des futurs professionnels des Affaires publiques ?
Je considère qu’aujourd’hui, ces règles d’encadrement de l’activité des représentants d’intérêts doivent être automatiquement instruites auprès de tout étudiant dans un master qui forme aux métiers des Affaires publiques, au sens très large du terme.
Cela doit concerner toutes les normes et réglementations en vigueur concernant l’éthique du métier et les nouvelles règles que l’on doit connaître par cœur et que l’on doit respecter.
J’ai moi-même enseigné pendant 4 ans à l’Université Paris Dauphine, au Master affaires publiques, l’encadrement Sapin 2. C’est pour moi un indispensable de tout bon professionnel. Lorsque je recrute un junior, je lui confie comme une des premières missions le suivi de notre reporting. Pour moi, c’est un des critères de performance et de prime de résultats.
Nous travaillons également à la formation interne de tout collaborateur impliqué dans les relations institutionnelles, au respect de cette réglementation. Cela se fait en étroite collaboration avec la direction juridique et la direction compliance et éthique. Nous avons en ce sens, sur le site de Transdev, une charte des affaires publiques.
Pour avoir de bons professionnels des affaires publiques, il faut qu’ils aient intégré pleinement, presque de manière automatique, les bases de l’encadrement de la profession pour laquelle ils se destinent. C’est finalement comme un médecin, comme un avocat, comme un notaire sans pour autant tendre vers un ordre parce qu’il y a d’autres ressorts qui sont aussi culturels et ce n’est pas un encadrement qui suffira. D’ailleurs, je fais souvent le parallèle avec l’image que les hommes politiques ont auprès des Français. Il n’y a jamais eu autant de lois depuis une dizaine d’années sur la transparence, sur la déontologie. On connait quasiment tout le patrimoine maintenant des élus et pourtant, les baromètres d’enquêtes d’opinion ne bougent quasiment pas. L’abstention est de plus en plus importante, donc la norme ne fait pas tout.
L’encadrement du lobbying était indispensable parce que l’on ne partait de rien et que l’on a milité auprès des pouvoirs publics pour être reconnus au travers d’une loi qui est en soi une révolution copernicienne pour la France : le fait que le travail de représentants d’intérêts soit intégré dans la loi. Aujourd’hui, on a atteint un stade quand même élevé quand on se compare aux autres cadres réglementaires en Europe.
Cependant, il ne faut pas se leurrer, il y a aussi des ressorts culturels et là, ce n’est pas une question de législation, c’est une question de pédagogie. Les réseaux sociaux favorisent malheureusement la défiance envers autrui et diffusent les fausses informations ce qui sapent les fondements de nos démocraties.
Quels sont les grands chantiers que les organisations de professionnels des affaires publiques doivent entreprendre à ces fins ?
L’objectif de cette conférence du 27 octobre que les trois associations représentatives organisent est de discuter de la loi Sapin 2 et de son évaluation. L’AFCL et l’APAP sont auditionnées régulièrement par les parlementaires, il est important que nous établissions ensemble un constat partagé avant d’évoquer des évolutions de la loi Sapin 2. Nous travaillons également avec la CNIL à l’établissement de lignes directrices concernant l’application du RGPD aux affaires publiques.