Cela fait maintenant deux ans que nos quotidiens se sont retrouvés bouleversés par la Covid-19. À ce titre, nous avions discuté des conséquences de la pandémie sur la pratique des Affaires publiques dans notre étude Motivation in time of crisis. Nous y rendions compte de l’adaptabilité des professionnels à ce contexte sanitaire inédit. Mais qu’en est-il de celles et ceux qui ont évolué aux côtés des organisations de santé pour mettre en œuvre les politiques visant à résoudre la crise sanitaire ?

Pour comprendre leur quotidien, nous avons interrogé des professionnels exerçant auprès des industriels de santé et au sein des organisations professionnelles les représentants, afin qu’ils nous racontent leurs expériences de la pandémie et les changements que la Covid aura entraînés dans leur pratique.

Dans ce premier entretien, Laurent Gainza, Directeur des Affaires publiques du Leem, organisation professionnelle qui représente l’ensemble des entreprises du médicament opérant en France, a accepté de nous parler de cette période qui aura profondément marqué le secteur pharmaceutique.

 

Comment sont conduites les Affaires publiques du Leem et comment votre Direction est-elle structurée pour répondre aux enjeux sanitaires ?

Le Leem réunit 270 laboratoires pharmaceutiques qui représentent près de 97% du chiffre d’affaires du médicament en France. Les entreprises adhérentes sont très diverses : grands laboratoires internationaux et nationaux, PME françaises et européennes, biotechs, sous-traitants pharmaceutiques, génériqueurs, spécialistes de la médication familiale… Notre secteur englobe toutes les typologies d’entreprises du médicament, qui toutes répondent à un ensemble de normes extrêmement complexes et évolutives.

Je suis à la tête d’une direction qui compte six personnes afin de couvrir les périmètres France, Europe et international. Pour nous, il s’agit d’entretenir un dialogue continu avec les décideurs publics dans un contexte de règlementation stricte en termes d’évaluation, de fixation des prix et d’accès aux patients, et avec les parties prenantes que sont notamment les professionnels de santé et les patients.

Deux membres de notre équipe, tous deux anciens collaborateurs parlementaires, suivent l’activité politique et législative en France. Notre échéance majeure est le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), examiné chaque automne au Parlement. Elle nous occupe bien au-delà des deux mois de son examen parlementaire. Nous suivons également les règlements qui s’appliquent aux industriels. On peut citer la Loi AGEC sur l’économie circulaire dont certaines mesures étaient susceptibles d’avoir un impact direct sur notre secteur comme la dispensation unitaire du médicament. D’autres projets plus connexes peuvent aussi avoir un impact sur l’activité de nos adhérents comme la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR).

Par ailleurs, notre industrie est très mondialisée. Nous entretenons des relations étroites avec nos homologues officiant au niveau européen, à Bruxelles, et au niveau international, à Genève. C’est notre responsable des affaires européennes qui conduit les nombreux sujets discutés à ce niveau. Sur le plan européen, il s’agit actuellement de suivre la feuille de route stratégique de la Commission européenne qui est très ambitieuse en matière de médicaments, d’anticiper sur la révision de la législation pharmaceutique, d’accompagner les discussions en matière de préparation aux crises sanitaires, de maladies rares, et d’antibiorésistance dans le cadre de la Présidence française de l’Union européenne (PFUE).

On a récemment accueilli dans l’équipe une responsable des opérations internationales. Elle s’occupe de la relation avec les pays d’Afrique francophone subsaharienne qui mènent des réflexions sur l’harmonisation de la réglementation pharmaceutique. Ces derniers ont ouvert des chantiers liés à l’accès aux médicaments, à leurs bons usages, à la lutte contre les contrefaçons. Son portefeuille porte également sur la connaissance des marchés, en lien avec notre direction exports, puisque la France exporte une très grosse partie de sa production à l’étranger. Notre responsable des affaires européennes et notre responsable des opérations internationales collaborent également au suivi des activités de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur des enjeux sanitaires, avec notamment le dossier portant sur la protection de la propriété intellectuelle.

 

Parlons justement de la pandémie. Quel impact a-t-elle eu sur votre secteur ?

Nous faisons partie de ces quelques secteurs qui ne se sont pas arrêtés au moment de l’annonce du premier confinement ; bien au contraire. D’une part, énormément de nos adhérents ont réorienté leurs recherches ou leurs productions sur des traitements ou des vaccins Covid. Certains ont noué des partenariats entre eux – vous aviez des concurrents qui sont devenus des alliés pour la recherche de traitements ou pour la production des vaccins afin de les mettre à disposition le plus rapidement possible.

Et puis, il fallait aussi assurer la continuité de la production pour toutes les autres pathologies. Il ne fallait surtout pas que les patients chroniques cessent leur traitement, cessent d’aller chez leur médecin. Je pense notamment aux patients atteints de cancer qui devaient continuer à consulter, être suivis et prendre leur traitement.

Notre secteur a tourné en surrégime dès le début de la crise sanitaire. Ça a eu pour conséquence, du point de vue des Affaires publiques, de remettre au premier plan les missions premières de nos entreprises. Ça a d’ailleurs été tout le sens de notre stratégie de plaidoyer. Vous savez que notre secteur souffre d’un déficit réputationnel en France. La population méconnait nos missions. Elle a la vision d’un secteur de cols blancs, très financiarisé, très internationalisé. On a l’impression que la France serait juste un comptoir de vente, mais c’est totalement faux. La France est le pays de Pasteur et a une très longue histoire avec la pharma. Celle-ci est intégrée dans les territoires à travers des sites de production, des laboratoires de recherche, elle noue de nombreux partenariats avec les hôpitaux, en matière notamment de recherche clinique…

Et tout d’un coup, la crise sanitaire a fait redécouvrir les missions de nos 100 000 collaborateurs, et nous a positionnés en acteur de sortie de crise. Parce que finalement, si la vie économique, si la vie sociale, si la vie culturelle, ont pu redémarrer un an après le début de la pandémie, c’est parce que les premiers vaccins ont commencé à être administrés.

 

Comment avez-vous fait pour coordonner tous ces efforts ?

Dès le début de la crise, de nombreux responsables publics nous ont en effet sollicités pour obtenir des informations sur l’état de la recherche et sur les approvisionnements en matériels de protection. Vous savez, dans nos usines, on utilise des masques de protection, on manipule des produits qui nécessitent l’utilisation de surblouses, de blouses, de masques, de visières, de solutions hydroalcooliques… Or, il y avait au début de la pandémie des tensions absolument critiques en équipements pour les services de soins. Donc on a aussi fait appel à nous pour donner des équipements disponibles dans nos établissements, et nous avons par ailleurs acheté directement auprès de producteurs asiatiques des stocks de masques que nous avons donnés à la Croix-Rouge.

Il y a aussi eu une explosion phénoménale de l’utilisation de certains produits. Je pense notamment au paracétamol ou aux curares qui ont vu leur demande augmenter dans des proportions vertigineuses. Il a donc fallu s’adapter. De fait, nous avons travaillé à la coordination des organisations au niveau européen et mondial, afin de mobiliser des stocks de tous ses produits sur les pays qui en avaient le plus besoin, au fur et à mesure du déplacement du front épidémique. On a ainsi créé un groupe avec tous les laboratoires producteurs de vaccins et notamment avec ceux qui étaient mobilisés sur la recherche d’un vaccin contre la Covid-19, pour mettre en place une interface de dialogue et mobiliser l’information à adresser aux décideurs.

Il y a eu une prise de conscience extrêmement brutale de la nécessité de renforcer notre autonomie sanitaire. Chose que nous n’avions jamais faite auparavant, nous nous sommes retrouvés à adresser régulièrement à la représentation nationale des notes extrêmement étayées, extrêmement factuelles sur l’état de la recherche, sur l’état de la production, sur les tensions d’approvisionnement, sur toutes les perspectives qu’il était possible de dégager.

Comme nos entreprises adhérentes étaient mobilisées, nous leur avons demandé de nous faire remonter des données extrêmement techniques afin de les communiquer aux pouvoirs publics pour participer à l’effort de connaissance de l’impact de la Covid sur le territoire. En parallèle, nous avons négocié avec les autorités des facilitations réglementaires pour débloquer les autorisations de recherche et de collaboration. Ces processus étaient, jusque-là, extrêmement longs, extrêmement complexes. Avec la crise sanitaire, on s’est découvert une agilité et une fluidité de relations avec la sphère publique qui était absolument inédite.

Et puis, il fallait aussi gérer la détresse de certains élus locaux qui nous appelaient. Je me souviens, un soir, avoir reçu un appel d’un président de département. Son territoire faisait partie des premières régions qui avaient subi de plein fouet le virus venu d’Italie du Nord. On était vraiment dans les premières semaines de la crise et leur situation était dramatique. Ils n’avaient aucune connaissance sur la manière de contrer ce fléau. Ils n’avaient pas de masque, ils n’avaient pas de surblouses, ils n’avaient pas de traitement. Il cherchait de l’aide et nous a contactés pour qu’on lui donne des perspectives, mais aussi réfléchir pour qu’à moyen terme, nous puissions imaginer rapatrier la production et la recherche dans notre pays.

 

Vous avez connu une activité extrêmement forte depuis ces deux ans de crises sanitaires. La fluidité des échanges avec les pouvoirs publics s’est-elle pérennisée dans le temps ?

Tout à fait. Quelques mois seulement après le démarrage de la crise sanitaire, le Président de la République avait annoncé qu’il allait desserrer l’étau de la régulation sur notre secteur qui, depuis dix ans, connaît une croissance nulle, avec une pression très forte sur les prix.

Plus récemment, en juin dernier, l’Élysée a annoncé un plan Innovation Santé 2030 visant à restaurer l’attractivité de la France pour les activités industrielles de santé et d’accès aux médicaments, à renforcer nos capacités de bio production, à renforcer notre attractivité en recherche clinique…

Enfin, il y a aussi une volonté de se prémunir de toute crise future en construisant sur l’expérience acquise dans le cadre de cette pandémie. À ce titre, il y a énormément de missions et de commissions d’enquête qui ont été déclenchées. Nous avons été auditionnés. On a documenté autant que possible les très nombreuses questions que nous ont posées les députés et les sénateurs sur ce qu’on appellera plus tard la résilience française en matière de gestion de la crise sanitaire.

 

Crédits photo : @Leem