Avec 12 candidats officiellement retenus pour le premier tour de l’élection présidentielle (le 10 avril prochain), la campagne électorale 2022 semble définitivement lancée malgré l’absence, pour l’heure, de débats politiques riches.

Cet évènement constitue une des étapes essentielles de la vie politique française. Pour l’électeur, il permet de se projeter sur les tendances qui seront données aux grandes thématiques qui régissent son quotidien : emploi, pouvoir d’achat, santé, environnement… Pour les candidats, il s’agit d’exposer leurs propositions et de convaincre l’opinion, tout en affûtant leurs programmes au regard des prestations de leurs concurrents.

La campagne est assurément un temps fort de la politique française pour les professionnels des Affaires publiques. Elle est aussi l’aboutissement d’un long processus de rencontres des différents candidats, d’échanges avec leurs directeurs de campagne, et les directeurs thématiques du programme des partis politiques, pour défendre les intérêts des organisations qu’ils représentent.

Aussi, voir intégrer au programme d’un candidat les problématiques de tout un secteur d’activité et distinguer l’esquisse d’une réforme visant à répondre à leurs inquiétudes sont de révélateurs de réussite d’une campagne de plaidoyer.

Mais qu’en est-il de la pratique des professionnels des Affaires publiques dans une campagne qui peine à se lancer en raison du contexte de crises multiples dans lequel elle s’inscrit ? Et comment faire émerger les problématiques des organisations qu’ils représentent avec l’entrée tardive du chef de l’État et son absence des débats pour se concentrer sur la gestion des dossiers actuellement prioritaires (pandémie, PFUE et guerre en Ukraine) ?

Pour y répondre, nous avons demandé à nos consultants Antoine Lefranc, Éléonore Para et Thomas Grandmougin d’évoquer les conséquences et les opportunités de cette campagne électorale retardée sur leur pratique des Affaires publiques.

 

Comment avez-vous préparé cette présidentielle ?

Éléonore Para : « Précisons tout d’abord qu’on ne se prépare évidemment pas à suivre et à représenter des intérêts lors des semaines qui précèdent l’élection, mais qu’il s’agit d’un travail qui s’inscrit dans la durée. Il convient de faire valoir les positions des entreprises, des organismes, que l’on représente auprès à la fois de la majorité et de l’opposition, pour qu’à l’approche de l’échéance électorale ces secteurs soient identifiés et que leurs enjeux soient connus par l’ensemble des candidats. »

Antoine Lefranc : « Fait inhabituel de cette campagne, les sujets liés à la sécurité et à l’immigration ont tellement préempté les discours que les préoccupations exprimées par les Français à l’issue de ce quinquennat, comme le pouvoir d’achat ou la santé, ont longtemps été reléguées au second rang des échanges politiques. Beaucoup d’organisations ont, dès lors, souhaité reporter leurs stratégies de plaidoyer à un niveau européen pour évoquer les thématiques qui étaient les leurs – environnement, santé, énergie, numérique – qui sont, il est vrai, à l’agenda de la PFUE.

Malgré tout, la situation que nous connaissons ne nous a pas empêchés de prendre nos dispositions bien en amont de la connaissance des différents candidats. Nous rencontrons les équipes des partis politiques, les parlementaires, les collectivités régulièrement. On va rencontrer les candidats bien avant qu’ils soient désignés comme tels. »

Thomas Grandmougin : « La présidentielle se prépare très en amont du début de la campagne. Il s’agit d’avoir pris le temps de discuter avec les partis, les candidats et leurs conseillers au cours des années qui précèdent l’élection. Lorsque cette période qui précède le vote débute, notre rôle est avant tout d’organiser le suivi du travail effectué tout en accompagnant nos clients dans l’appréhension des prochaines étapes de la vie démocratique.

Si nous avons pris nos dispositions en amont pour bien préparer cette campagne, alors il devient possible de réduire les contacts aux quelques candidats déclarés dont les valeurs sont proches des intérêts que nous portons, pour leur rappeler nos argumentaires et nos positions. Pour autant, il faut aussi apprendre à gérer cet entre-deux pour nos clients dont les attentes ambitieuses pourraient être déçues si leurs propositions venaient à ne pas être reprises.

Vouloir émerger au cours de la campagne c’est se confronter à des équipes de candidats en surrégime qui reçoivent des centaines de questions, questionnaires, études, et des demandes de rendez-vous par jour. Il faut dès lors être clair sur ce point, ce qui est important c’est un travail qui s’inscrit dans la durée.

Au-delà, il faut penser le temps d’après et construire les relations que nous aurons avec la prochaine législature. Dans ce cadre, les parlementaires avec qui l’on parle sont tournés vers les élections législatives bien qu’officiellement, leur mandat ne se terminera qu’en juin prochain. Lorsqu’ils vous reçoivent, il faut être en mesure de leur présenter un position paper, qui comprend votre discours et vos solutions pour qu’elles soient entendues par vos interlocuteurs et qu’elles aient une chance d’intégrer leur programme – tout ceci dans l’objectif de satisfaire pleinement les attentes de vos clients voire de les dépasser. »

 

Comment faire émerger les besoins des organisations que l’on représente et quels sont les indicateurs de réussite d’une campagne des affaires publiques lors d’une présidentielle ?

Antoine Lefranc : « Un aspect majeur de notre travail est cette capacité d’anticipation que nous mettons en œuvre tout au long du quinquennat et plus encore au cours des années précédant les élections présidentielles et législatives. Pour susciter l’intérêt des partis et des candidats, il faut avant tout savoir mettre dans leurs mains des sujets simples et réalisables avec un réel impact dans le quotidien des citoyens. C’est cette capacité de jonction entre d’un côté l’intérêt du futur élu et de l’autre celui des Français, qui doit guider l’action des professionnels des Affaires publiques.

C’est un élément déterminant de la réussite de notre stratégie d’influence. Ensuite, et dans un second temps, on regarde comment les enjeux que nous avons mis en avant auprès des candidats vivent et évoluent au sein de leurs programmes.

L’indicateur de réussite principal, c’est notre aptitude à faire émerger une thématique majeure d’un secteur d’activité au sein du débat. En deuxième position, c’est voir si les idées proposées ont été reprises par le candidat. Et puis, corollaire de ces deux points évoqués, et parce que la campagne électorale se gagne aussi sur le terrain médiatique, c’est la couverture journalistique qui sera donnée à nos sujets dans les médias et mise au programme des JTs. Même si cela n’est pas central, c’est quand même essentiel de voir nos idées partir à la rencontre des Français directement dans leurs foyers. »

 

Comment l’activité du professionnel des Affaires publiques participe-t-elle à la vie démocratique en période d’élection ? Est-elle un rouage essentiel d’un débat public éclairé ?

Thomas Grandmougin : « Bien sûr c’est un rouage du débat public. Mais c’est aussi un moment où ce même débat met en lumière notre activité alors que celle-ci n’est pas toujours comprise par le grand public pour lequel le lobbying reste négativement connoté. Beaucoup de pédagogie reste à faire autour des métiers de l’influence et du plaidoyer.

Il est à ce titre intéressant de voir qu’actuellement sont programmés deux films qui viennent à parler du rôle des professionnels des Affaires publiques dans notre société (Goliath de Frédéric Tellier, et Les Promesses de Thomas Kruithof). Ces propositions culturelles entretiennent une certaine image de notre profession qui doit toujours, à rebours, œuvrer pour mettre en avant son impact positif sur le quotidien des citoyens.

Notre rôle est d’informer les décideurs pour que les mesures politiques soient éclairées au regard des problématiques du terrain. Nous instaurons un dialogue entre les intérêts de ces acteurs privés et les pouvoirs publics.

C’est cette image qu’il faut changer pour montrer combien l’exercice démocratique se nourrit de notre profession et de notre expertise, notamment lors d’une élection. »

 

Le contexte de crise actuelle semble resserrer l’agenda politique, et donc in fine de la campagne présidentielle, sur les priorités internationales. Comment s’y adapter quand on est professionnel des Affaires publiques ?

Éléonore Para : « L’appréhension de la temporalité est très importante dans l’accompagnement de nos clients. J’entends par là que dans notre métier, le « moment » est décisif. C’est notre rôle de savoir à qui mais aussi quand parler d’un sujet, représenter une position, et ce d’autant plus dans un contexte politique bouleversé comme celui que nous connaissons actuellement.

Les thèmes de la campagne sont évidemment influencés par l’actualité. La question du pouvoir d’achat est aujourd’hui le principal sujet qui préoccupe les électeurs, préoccupation alimentée par la hausse des prix de l’énergie. Le contexte change les priorités, il nous faut être préparés en amont, car il est souvent difficile de faire émerger certaines problématiques lors d’une campagne.

Au cours de celle-ci, une autre étape débute. Il s’agit d’analyser et de passer au peigne fin les programmes des candidats rendus accessibles en ligne, d’écouter et d’étudier l’ensemble de leur apparition audiovisuelle, les débats, les grands oraux, etc. Ce faisant, on arrive à connaître les positions des différents candidats, à regarder ce qui diffère dans les programmes, et à se préparer à ce qui suivra l’élection : les réformes en préparation, l’agenda des premiers mois du nouveau ou de la nouvelle Présidente élu(e).

Évidemment, aujourd’hui, le contexte international terrible prend beaucoup de place dans la campagne. Quel rôle jouera-t-il dans le résultat de cette élection ? L’abstention rejoindra-t-elle les niveaux de 2002, comme certains sondages semblent l’indiquer ? Ce contexte se traduit dans la manière dont se déroulent les débats et pourrait conditionner la manière dont se déroulera le prochain quinquennat. »

 

Quel est le rôle du professionnel des Affaires publiques pour remettre les grands enjeux démocratiques au cœur du débat ? Comment s’y prendre ?

Éléonore Para : « En tant que représentants de ces organisations, qu’elles soient entreprises, associations, fédérations… nous pouvons jouer un rôle essentiel dans le rétablissement de la confiance entre l’électorat et les pouvoirs publics.

Dans le contexte international que l’on connaît, on se rend compte de l’importance de l’État et de ses décisions dans notre quotidien. Notre rôle est de contribuer à remettre au cœur de l’élection présidentielle, les enjeux démocratiques et de favoriser l’émergence d’un vrai débat pour répondre à la crise de confiance envers les institutions. Cette situation traverse d’ailleurs d’autres pays et, quand on a un vécu à l’étranger, on voit que cette crise de confiance dépasse nos frontières.

En tant que professionnels des affaires publiques, nous cherchons à faire en sorte que les intérêts des entreprises ou des organismes que nous représentons soient alignés avec l’intérêt général. Notre objectif est de construire leur notoriété pour que ces organisations soient écoutées, entendues et identifiées comme des interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics, et que ces mêmes décideurs comprennent l’importance des organisations que nous représentons dans la réalisation des missions qui sont les leurs en termes d’emploi, de social, de développement des territoires, etc.

Pour ce faire, notre crédibilité vient de notre capacité à nous imprégner des secteurs que nous représentons, à comprendre leur activité pour réussir ensuite à faire émerger leurs intérêts dans un débat démocratique plus large. »