Guilhaume Jean est Manager en Affaires Publiques et Communication au sein du cabinet de conseil « WEMEAN », Président de l’association des « Jeunes Lobbyistes » et enseignant à Sciences Po Paris. Il a accepté de répondre à nos questions à l’issue d’un petit déjeuner législatif organisé le 28 octobre 2021 en présence du Député LREM de Saône-et-Loire, Raphaël Gauvain, pour évoquer sa proposition de loi visant au renforcement de la lutte contre la corruption, et les enjeux de transparence de la vie publique dans le secteur des affaires publiques.

Comment résumeriez-vous la vision portée par le Député dans ce texte ? Et quel impact sur la pratique des affaires publiques par les professionnels du secteur ?

Nous avons en effet reçu le député Gauvain pour échanger avec lui sur la proposition de loi qu’il a présenté le 19 octobre dernier et qui porte sur le renforcement de la lutte contre la corruption (NDRL : Proposition de loi nº 4586). Même si l’agenda parlementaire demeure incertain, il nous semblait important de proposer à nos adhérentes et adhérents un échange avec le député sur ce texte, important pour l’encadrement normatif de nos métiers, et les arbitrages qui ont précédé à sa rédaction finale.Comme nous le faisons pour chacun de nos évènements, nous avons alors proposé un temps d’échange avec nos adhérentes et adhérents afin d’interroger le député sur son ambition quant à l’agenda de la PPL, les potentiels angles morts (associations cultuelles et d’élus notamment) du texte et plus généralement son rapport aux lobbyistes.

Cet échange avec le député s’inscrit dans la continuité de précédents évènements que les Jeunes Lobbyistes ont organisés sur l’encadrement incitatif (avec le député Waserman sur le sourcing des amendements) ou normatif (avec la HATVP) de nos métiers. Avec les prochaines échéances institutionnelles de 2022 et l’élargissement du registre de la HATVP à l’échelon territorial, nul doute que ces enjeux seront prégnants tant pour les praticiens des affaires publiques que pour leurs interlocuteurs institutionnels.

Fidèles à l’ambition des Jeunes Lobbyistes d’engager le débat sur les évolutions des affaires publiques, nous continuerons de proposer régulièrement ce genre d’échanges privilégiés et en direct auprès de notre communauté d’adhérentes et d’adhérents !

 

Comment adapter les processus de recrutement de professionnels de la représentation d’intérêts pour se prémunir de toute dérive qui viendrait à présenter un risque certain pour la transparence de la vie publique ?

Au-delà du principe de transparence, c’est bien celui de la déontologie qui doit prévaloir lors des recrutements de professionnels des affaires publiques ; que ce soit en cabinets, en ONG, en fédérations ou encore en entreprises.

Lors des tours de recrutements, notre responsabilité tient d’abord dans notre capacité à vérifier si un professionnel respecte la réglementation qui s’impose à tous, que ce soit dans la bonne connaissance qu’il en a et dans sa bonne maîtrise des compétences associées. Pour ce faire, nous recourons à divers procédés lors des entretiens : des questions ouvertes, des questions fermées, ou des mises en situation.

S’agissant des connaissances, on vérifiera par exemple la bonne compréhension et le bon respect des règles édictées dans la Loi Sapin 2. Nous pouvons ainsi évoquer le registre des représentants d’intérêt à travers un ensemble de questions : Qu’est-ce que l’on y inscrit ? À quel moment ? Qu’est-ce que l’on déclare comme activités lorsque l’on est une entreprise indépendante en qualité de conseil ? Quid de la représentation d’intérêts pro bono ?

Pour ce qui est des compétences, c’est bien souvent une mise en situation qui nous permettra d’examiner si la personne respecte les règles de transparence et de déontologie (que la profession s’est d’ailleurs auto-appliquées et imposées !) ; par exemple dans ses interactions avec les pouvoirs publics, dans la posture à adopter en entretien, dans la publication ou la sollicitation d‘une information, etc.

On pourra ensuite évaluer la connaissance de la candidate/ du candidat concernant les potentielles évolutions réglementaires afin d’identifier sa maîtrise de l’agenda et sa capacité d’anticipation, tant de la volonté du législateur que des arbitrages à venir.

Il faut enfin garder à l’esprit que ces entretiens permettent d’évaluer le bon équilibre que trouve le candidat entre d’une part la capacité à répondre aux impératifs de transparence et d’autre part les enjeux de confidentialité inhérents aux organisations auxquelles ils postulent ; c’est notamment le cas pour les organisations soumises au secret professionnel ou au secteur financier face au délit d’initié.

Mais au-delà de l’évaluation du respect de la transparence et de la déontologie qui s’imposent à tous dans une profession, je crois qu’il faut être encore plus singulier en évaluant systématiquement l’adéquation de la candidate / du candidat avec l’éthique que l’organisation à laquelle elle/il postule souhaite donner à sa pratique du lobbying. Cette « éthique de lobbying » répond notamment aux attentes des pouvoirs publics envers les professionnels des affaires publiques et constitue un vrai actif différenciant pour l’organisation : que ce soit dans sa capacité à mieux se faire écouter des pouvoirs publics, à mieux pérenniser ses relations de travail avec son écosystème institutionnel ou encore à créer une empathie plus forte lors de séquences politiques crisogènes.

Par exemple, et d’un point de vue strictement personnel, il me serait difficile de recruter chez WEMEAN un profil qui n’adhère pas à l’idée que le lobbying doit être contribution – et non-sollicitation , engagement – et non-pression –, et à impact positif pour la société et dans les territoires – et non pas porteur d’intérêts isolés et uniquement sectoriels. Pour aller plus loin, et toujours dans une approche personnelle, un(e) candidat(e) partageant l’idée que les missions de conseil en affaires publiques doivent être rémunérées à la commission par une obligation de résultat ne serait pas retenu(e) : nous considérons en effet que notre métier exige bien une obligation de moyens pour atteindre les objectifs de nos missions, mais il serait dangereux d’opter pour une obligation de résultats en cela qu’un tel modèle d’honoraires biaiserait la relation de travail que nous avons avec nos interlocuteurs institutionnels (comment conjuguer sereinement travail de conviction et rétribution financière associée ?) et soulèverait (à juste titre !) un enjeu réputationnel et de confiance conséquent pour notre client.

On touche bien là tant aux bonnes pratiques qu’à l’éthique que l’on souhaite donner aux affaires publiques dans les outils et les méthodes que l’on utilise : cela va de la formalisation d’une cartographie, à la définition du périmètre concerné par les évolutions réglementaires qu’à la posture adoptée pendant un entretien institutionnel avec un décideur politique.

Dans un environnement public de plus en plus sensible à l’éthique du lobbying dans et pour la société, le respect des règles de transparence et l’anticipation des principes de déontologie deviennent des impératifs de recrutement pour les professionnels des affaires publiques. Ces hard et soft skills sont désormais structurants pour la définition et la conduite des stratégies d’affaires publiques des organisations : c’est pourquoi elles méritent bien d’être étudiées et challengées pendant les phases d’entretiens afin d’identifier et fidéliser la bonne candidate/ le bon candidat.